vendredi 9 décembre 2011

Chaque renouvellement d'une injonction ou d'une ordonnance de sauvegarde est une audition de novo

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La logique du Code de procédure civile prévoit l'émission possible d'une injonction provisoire et d'ordonnances de sauvegarde subséquentes en attendant que les parties soient prêtes pour l'audition de l'injonction interlocutoire. En pratique, quelques mois sont presque toujours nécessaires avant que les parties procèdent sur l'interlocutoire, de sorte que les injonctions provisoires ou les ordonnances de sauvegarde doivent être renouvelées à multiples reprises. Or, comme le rappelle l'Honorable juge Michel Déziel dans 4077334 Canada Inc. (Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté (2011 QCCS 6560), chaque audition (provisoire, sauvegarde ou interlocutoire) en est une de novo, de sorte que le juge saisi n'est aucunement lié par les jugements précédents.


Dans cette affaire, la Demanderesse recherche l'émission d'une injonction interlocutoire suite à l'adjudication par la Défenderesse d'un contrat, le 12 avril 2011, à la Mise en cause. Ce contrat vise l'implantation d'un nouveau système de téléphonie IP auprès de 29 établissements de santé et de services sociaux. La Demanderesse fait valoir que la soumission déposée par la Mise en cause n'était pas conforme au devis technique inclus dans l'appel d'offres.

La Demanderesse obtient une ordonnance de sauvegarde en début de dossier, laquelle est toujours en vigueur au moment de l'audition de l'interlocutoire. Étant d'opinion qu'il n'y a rien de nouveau au dossier ne justifierait un changement à l'ordonnance en vigueur, la Demanderesse invite d'abord la Cour à reconduire l'ordonnance.

Le juge Déziel refuse cette invitation et rappelle qu'il s'agit d'une audition de novo et qu'il devra faire sa propre analyse, même des éléments qui ne sont pas nouveaux:
[71] Il est reconnu que le juge, au stade interlocutoire, n'est pas lié par les conclusions du juge qui a entendu la requête au stade provisoire ou, encore, au stade d'une sauvegarde, comme l'enseigne la Cour d'appel sous la plume de la juge Marie-France Bich dans Publications TVA inc.:
« [12] Or, il faut rappeler que les jugements rendus en matière d'injonction interlocutoire provisoire ne lient pas le juge qui doit se prononcer sur la suite des procédures, que ce soit de façon provisoire, interlocutoire ou finale. Chaque demande est en quelque sorte étudiée de novo, en fonction de la preuve présente alors au dossier et sans égard aux déterminations qui ont pu être faites antérieurement. Comme l'écrit le juge André Brossard dans Lafontainec. Coopérative des propriétaires de taxi de Laval, C.A.M. 500-09-014568-042, 31 mai 2005 :
Considérant que les arguments ou opinions énoncés par le juge de la Cour supérieure qui rejette la demande d'injonction provisoire ne valent par définition que pour les fins de cette ordonnance et qu'ils ne sauraient en aucune façon lier le juge qui sera éventuellement saisi de la demande d'injonction interlocutoire au fond ou même d'une ordonnance de sauvegarde dans l'impossibilité d'entendre une demande d'injonction interlocutoire au fond [mot illisible] est lié encore moins le juge qui sera saisi du fond de l'instance;
Dans le même sens, voir : Spénard c. Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 9414, précité; Comité Concerned Citizens of Ayer's Cliff c. 9071-6812 Québec inc., J.E. 2000-2115 (C.S.).
[13] Dans leur ouvrage L'injonction, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998, à la p. 312, les auteurs Gendreau, Thibault, Ferland, Cliche et Gravel notent d'ailleurs ce qui suit :
En ce qui concerne le renouvellement de l'injonction provisoire pour une autre durée fixe ou pour la durée de l'instance, il faut garder à l'esprit que le tribunal conserve à cet égard une large discrétion lui permettant de refuser tout renouvellement, même si les parties y consentent (art. 757).
A fortiori, le juge qui doit statuer sur une demande de sauvegarde consécutive à une ordonnance d'injonction interlocutoire provisoire est tout à fait libre de juger à nouveau, sans égard au sort des demandes antérieures.
[14] Saisi d'une demande d'ordonnance de sauvegarde à valoir jusqu'à jugement final sur l'action de la requérante, le juge Lacoursière n'était donc pas lié par les jugements sur l'ordonnance d'injonction interlocutoire provisoire, injonction valable pour dix jours seulement. Il pouvait et, d'ailleurs, devait réexaminer et réévaluer le dossier complètement, s'en faire sa propre opinion et décider en conséquence, même si cela ne concordait pas avec les jugements rendus antérieurement sur l'injonction interlocutoire provisoire. C'est ce qu'il a fait et on ne peut pas lui faire grief d'être arrivé à une conclusion différente de celles des jugements antérieurs.»
[72] Le Tribunal doit donc «ré examiner et ré évaluer le dossier complètement, s'en faire sa propre opinion et décider en conséquence».
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/vBhvxO

Référence neutre: [2011] ABD 394

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Publications TVA inc. c. Transcontinental inc., J.E. 2006-1710 (C.A.).

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