lundi 7 novembre 2011

Règle générale, il faut attendre l'audition au mérite pour déterminer si l'absence de dénonciation écrite du vice caché est fatale à l'action intentée

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il semble que cette période de l'année est particulièrement faste pour la jurisprudence traitant de vices cachés et, plus particulièrement, de l'obligation de dénonciation de l'acheteur. La semaine dernière, nous attirions votre attention sur l'affaire Factory Mutual Insurance Company c. Kohler co (voir notre billet ici: http://bit.ly/UPENU1) où la Cour supérieure constatait l'absence de dénonciation écrite du vice et d'allégations expliquant cette absence pour rejeter un recours en garantie au stade préliminaire. Or, dans la décision rendue très récemment dans Intact, compagnie d'assurances c. Mapp (2011 QCCS 5770), l'Honorable juge Gérard Dugré semble adopter une approche différente et souligne que ce n'est qu'après une audition au fond que l'on pourra déterminer si l'absence d'avis écrit est fatale au recours.


Dans cette affaire, le juge Dugré doit trancher une requête en rejet de l’action principale et de l’action en garantie fondée sur les arts. 165 (4) et 54.1 C.p.c. présentée par la Défenderesse/Défenderesse en garantie. Cette requête fait valoir que l'avis écrit prévu à l'article 1739 C.c.Q. dénonçant l'existence de vices cachés n'a jamais été envoyé à la Défenderesse/Défenderesse en garantie, de sorte que le recours contre elle doit être rejeté immédiatement.

Le juge Dugré ne voit pas les choses de la même façon et est d'opinion qu'une audition au mérite est nécessaire pour trancher la question. En effet, il pourrait exister une justification légale ou factuelle pour l'absence d'avis:
[22] La requête en rejet de l’action principale et de l’action en garantie de madame Charette est principalement fondée sur le fait que ni la demanderesse principale ni les demanderesses en garantie lui auraient dénoncé par écrit les vices allégués ou leur nature, et jamais lui ont-elles donné l’opportunité d’avoir accès au lieu et faire ainsi ses propres constatations avant la reconstruction de l’immeuble, et ce, contrairement à l’art. 1739 C.c.Q. Selon madame Charette, ce défaut constitue un vice fatal devant entraîner le rejet de l’action principale et celui de l’action en garantie intentées contre elle.
[23] D’entrée de jeu, il importe de souligner que la question de la dénonciation prévue à l’art. 1739 C.c.Q. soulève principalement des questions de fait et de preuve, notamment :
a) la nécessité de l’avis;
b) la tardiveté de celui-ci;
c) la connaissance du vice par le vendeur ou le fait qu’il ne pouvait l’ignorer;
d) la renonciation du vendeur à invoquer le défaut d’avis;
e) les exemptions de donner l’avis résultant notamment de l’urgence ou de la faute du vendeur (art. 1597 C.c.Q.); et
f) le préjudice causé au vendeur et résultant de l’omission de lui donner l’avis prévu à l’art. 1739 C.c.Q.
[24] Toutes ces questions, particulièrement le délai et la connaissance du vendeur, sont des questions de fait qui dépendent des circonstances particulières de chaque cas et dont l’appréciation est laissée au Tribunal. Ces questions de fait nécessitent donc une preuve. Or, cette preuve doit être faite lors du procès et non dans le cadre d’un recours en irrecevabilité fondé sur l’art. 165(4) C.p.c. ou en rejet fondé sur les art. 54.1 et ss. C.p.c.
[25] De plus, le fardeau de prouver les faits relatifs à chacune de ces questions ne repose pas nécessairement et exclusivement sur l'acheteur-demandeur à qui on oppose l’omission de dénoncer conformément à l’art. 1739 C.c.Q. (voir l’art. 2803 al. 2 C.c.Q.).
[26] Or, il est impensable que les éléments factuels qu’un défendeur est tenu de prouver puissent être le fondement du rejet, par moyen préliminaire, de l’action d’un demandeur.
[27] De surcroît, il y a lieu de distinguer entre la dénonciation comme condition de fond et d’exercice du recours fondé sur la garantie découlant du contrat de vente (voir par exemple art. 1739 C.c.Q.) et la demeure préalable requise pour réclamer le coût des travaux exécutés par le créancier ou un tiers aux frais du débiteur (art. 1602 C.c.Q.).
[28] En effet, il ne faut pas confondre la dénonciation de l'art. 1739 C.c.Q.nécessaire pour invoquer la garantie légale résultant du contrat de vente et la responsabilité contractuelle fondée sur l'art. 1458 C.c.Q. à laquelle est rattachée la notion de demeure. En outre, il faut distinguer entre l'exécution en nature par remplacement, assujettie aux art. 1590 et 1602 C.c.Q., et l'exécution par équivalent régie par les art. 1607 et suiv. C.c.Q.
[29] Bref, le Tribunal estime que les questions touchant la dénonciation prévue à l’art. 1739 C.c.Q. peuvent difficilement être tranchées au stade interlocutoire étant donné leur nature.
Commentaire:

Après avoir formulé les commentaires reproduits ci-dessus, le juge Dugré passe en revue la jurisprudence et vient à la conclusion qu'elle supporte sa conclusion. Or, l'affaire Factory Mutual Insurance Company c. Kohler co n'a pas été portée à son attention (probablement parce que la décision n'était pas encore disponible au moment de plaider la requête devant le juge Dugré, quoiqu'il est impossible de l'affirmer avec certitude puisque le jugement de ce dernier n'indique pas la date d'audition). Sa décision est-elle incompatible avec celle de l'Honorable juge Clément Trudel dans Factory Mutual Insurance Company?

Respectueusement, je ne le crois pas. En effet, le juge Trudel avait pris bien soin de noter qu'il n'était allégué, dans la requête introductive d'instance "aucune excuse légitime, aucune circonstance particulière pouvant constituer une exception à la règle générale voulant qu'une mise en demeure soit donnée par le créancier à son vendeur pour l'avertir des défauts dont il se plaint". Il est donc permis de croire que le juge Trudel aurait également été d'opinion que le rejet interlocutoire n'était pas justifié en la présence de telles allégations.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/tdbO4b

Référence neutre: [2011] ABD 356

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