par Karim Renno
L'article 46 C.p.c. donne à la Cour supérieure des pouvoirs inhérents très étendus. Un de ces pouvoirs, selon la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Autorité des marchés financiers c. Roy (2011 QCCA 1612), est de surseoir au prononcé d'une peine.
Dans cette affaire, l'Appelante soutient que le tribunal de première instance ne pouvait surseoir à l'exécution de la peine d'emprisonnement imposée à l'Intimé pour outrage au tribunal. En effet, l'Appelante, soumet que le tribunal qui impose une peine à celui qui s'est rendu coupable d'outrage au tribunal doit imposer l'une des peines prévues spécifiquement par le législateur à l'article 51 C.p.c.
L'Honorable juge Guy Cournoyer, au nom d'un banc unanime, n'est pas d'accord avec cette prétention. Selon lui, la Cour supérieure a le pouvoir inhérent de surseoir au prononcé d'une peine:
[24] Dans ces circonstances, la question n'est pas tant de savoir si le tribunal a imposé une peine différente de celles spécifiquement prévues à l'article 51 C.p.c. mais plutôt de savoir s'il pouvait surseoir au prononcé de la peine.
[25] Même si ce pouvoir fait l'objet d'une disposition particulière au Code criminel, l'article 731(1)a), j'estime que le tribunal appelé à déterminer une peine en application de l'article 51 C.p.c., possède le pouvoir de le faire.
[26] Dans l'arrêt R. c. Caron, le juge Binnie décrit les pouvoirs inhérents de la Cour supérieure :
[24] La compétence inhérente des cours supérieures provinciales est largement définie comme étant [traduction] « une source résiduelle de pouvoirs, à laquelle la Cour peut puiser au besoin lorsqu’il est juste ou équitable de le faire » : I. H. Jacob, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970), 23 Curr. Legal Probs. 23, p. 51. Ces pouvoirs émanent « non pas d’une loi ou d’une règle de droit, mais de la nature même de la cour en tant que cour supérieure de justice » (Jacob, p. 27) pour permettre « de maintenir, protéger et remplir leur fonction qui est de rendre justice, dans le respect de la loi, d’une manière régulière, ordonnée et efficace » (p. 28). S’exprimant en des termes tout aussi larges, le juge en chef Lamer qui se référait, en l’approuvant, à l’analyse de Jacob (MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725 , par. 29-30), parle des « pouvoirs qui sont essentiels à l’administration de la justice et au maintien de la primauté du droit », par. 38. Voir également R. c. Cunningham, 2010 CSC 10 , [2010] 1 R.C.S. 331 , le juge Rothstein, qui se réfère à l’analyse de Jacob, au par. 18, et Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626 , par. 29-32.
[27] Dans l'arrêt R. c. Cunningham, le juge Rothstein donne la description suivante de la compétence inhérente de la Cour supérieure :
[18] Une cour supérieure a la compétence inhérente nécessaire à l’exercice de sa fonction judiciaire ainsi qu’à l’exécution de son mandat d’administrer la justice (voir I. H. Jacob, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970), 23 Curr. Legal Probs. 23, p. 27-28), ce qui comprend le pouvoir de décider du déroulement de l’instance, de prévenir l’abus de procédure et de veiller au bon fonctionnement des rouages de la cour.
[28] De plus, l'article 46 C.p.c. prévoit :
46. Les tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leur compétence.
Ils peuvent, en tout temps et en toutes matières, tant en première instance qu'en appel, prononcer des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu'ils déterminent. De plus, ils peuvent, dans les affaires dont ils sont saisis, prononcer, même d'office, des injonctions ou des réprimandes, supprimer des écrits ou les déclarer calomnieux, et rendre toutes ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n'a pas prévu de remède spécifique.
[29] À la lumière de ces principes et du texte de l'article 46 C.p.c., et ce, même si le Code de procédure civile ne le prévoit pas spécifiquement, il faut conclure que la Cour supérieure peut (que ce soit en vertu de l'article 46 C.p.c., de ses pouvoirs inhérents, ou d'une combinaison des deux) surseoir au prononcé de la peine. Elle peut aussi, ce faisant, assortir cette ordonnance de conditions qu'elle estime raisonnables pour la période qu'elle énonce.
[30] Ainsi, la question du pouvoir de surseoir au prononcé de la peine se pose en amont de la détermination de la peine. La gamme de peines pouvant être imposée peut être restreinte sans que le pouvoir de surseoir au prononcé de la peine puisse être contesté.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/pSpl5P
Référence neutre: [2011] ABD 300
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