mercredi 3 août 2011

Le rapport d'expert qui porte purement sur la question de droit à être tranchée empiète sur la compétence du juge et est irrecevable

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Même si la jurisprudence en matière de recevabilité de rapports d'experts s'est faite plus permissive à travers les années, il reste que les tribunaux refusent toujours le dépôt de rapports qui empiètent purement et simplement sur la question de droit à être tranchée. L'affaire Stühler c. Hasenberger (2011 QCCS 3773) illustre bien cet énoncé.


Dans cette affaire, la Cour sera appelé à déterminer si les Demanderesses ont, conformément à une ordonnance déjà rendue, déposé une lettre de garantie irrévocable. Les Défendeurs, d'opinion que ce n'est pas le cas, déposent une expertise au support de leur prétention que la lettre de garantie n'est pas irrévocable.

Les Demanderesses demandent le rejet de ce rapport au motif qu'il s'agirait d'une preuve irrecevable. L'Honorable juge André Roy est saisi de cette requête. Il est d'opinion que celle-ci est bien fondée parce que le rapport empiète purement et simplement sur le territoire souverain du juge :
[17] La Cour d'appel précise que le rôle d'un expert consiste à fournir des renseignements scientifiques et une conclusion qui, en raison de la technicité des faits, dépassent les connaissances et l'expérience du juge.  
[18] Léo Ducharme ajoute que, pour être utile, une expertise doit être de nature à aider le tribunal à comprendre les faits et à apprécier la preuve. Il s'ensuit que lorsque les faits sont simples et que le juge est aussi capable que l'expert de les comprendre et de déduire les conclusions qui en découlent, l'expertise n'est pas admissible.  
[...]  
[20] Monsieur Saint-Michel reprend ainsi les conditions de validité d'une lettre de garantie énumérées à l'article 1574 C.c.Q.  
[21] Il analyse ensuite la lettre de garantie émise le 2 mars 2011 par la Banque nationale du Canada et, définitions des dictionnaires usuels à l'appui, il conclut qu'elle n'est pas irrévocable, qu'elle n'est pas inconditionnelle et qu'elle n'est pas émise pour une durée indéterminée.  
[22] Ce faisant, le Tribunal est d'avis que monsieur Saint-Michel empiète sur ce qui est du ressort exclusif du juge en ce qui a trait à l'interprétation de la lettre de garantie et de la question de savoir si elle répond aux conditions de l'article 1574 C.c.Q.  
[23] Le rapport de monsieur Saint-Michel porte sur une pure question de droit qui relève de l'expertise des tribunaux.  
[...]  
[25] Les défendeurs plaident que le témoignage d'opinion de monsieur Saint-Michel vise à éclairer le tribunal sur les usages et les pratiques dans le monde des affaires. En cela, il serait pertinent et utile.  
[26] Avec égards, le juge saisi de la requête pour rejet devra décider si la lettre de garantie satisfait aux conditions pertinentes. C'est là une question pure de droit qui relève du domaine du juge et pour laquelle la connaissance du monde des affaires n'est pas requise.  
[27] Conscient qu'il est dangereux d'exclure a priori une preuve d'expert, le Tribunal estime néanmoins qu'en l'espèce, l'inadmissibilité de l'expertise est évidente en ce qu'elle est inutile. Elle n’est ni nécessaire ni pertinente pour décider de la question de droit que le tribunal devra trancher.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/nq06eL

Référence neutre: [2011] ABD 254

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