mercredi 3 août 2011

La preuve testimoniale d'un aveu extrajudiciaire ne peut constituer un commencement de preuve

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Peut-on faire la preuve d'un aveu extrajudiciaire par voie de preuve testimoniale? La question est plus complexe qu'elle ne pourrait le paraître et la réponse très nuancée. Dans l'affaire Grignon c. Lapierre (2011 QCCS 3776), l'Honorable juge André Roy s'attaque à la question et en vient à la conclusion que lorsque la preuve testimoniale d'un acte juridique est prohibée par l'article 2862 C.c.Q., il n'est pas possible d'établir un commencement de preuve en faisant la preuve testimoniale d'un aveu extrajudiciaire.


Il s'agit en l'instance d'un litige ayant égard à un droit d'habitation. La Demanderesse, propriétaire d'un immeuble, demande l'expulsion de la Défenderesse de ce même immeuble. Cette dernière fait valoir en défense que la Demanderesse lui a consenti un droit d'habitation. Or, la Demanderesse conteste cette prétention et il n'existe pas d'écrit à cet effet. 

La Défenderesse fait entendre au procès son voisin, à qui la Demanderesse aurait fait un aveu extrajudiciaire à propos du droit d'habitation. Cette dernière s'objecte à cette preuve. 

La juge Roy accueille l'objection. Citant le professeur Royer, il en vient à la conclusion que permettre la preuve testimoniale d'un aveu extrajudiciaire à titre de commencement de preuve constituerait une violation indirecte de la prohibition de l'article 2862 C.c.Q.:
[26] L'article 2852 C.c.Q, précise que l'aveu fait par une partie au litige fait preuve contre elle s'il est fait au cours de l'instance où il est invoqué. Cependant que l'aveu, fait en dehors de l'instance où il est invoqué, se prouve par les moyens recevables pour prouver le fait qui en est l'objet.   
[27] La procureure de madame Grignon a formulé une objection à l'admissibilité du témoignage de Beaulieu à cet égard, objection que le Tribunal a prise sous réserve;  
[28] Dans Précis de la preuve, le professeur Léo Ducharme écrit que le recours à la preuve testimoniale pour prouver un aveu extrajudiciaire, portant sur un acte juridique qui n'a pas été constaté par écrit, demeure prohibé en principe. Cette solution s'impose par le jeu combiné des articles 2862 et 2867 C.c.Q. La preuve testimoniale va toutefois être recevable si le réclamant peut démontrer qu'il se trouve dans un cas où, par exception, la preuve testimoniale est recevable.   
[29] Or, Anne, partie au litige, ne satisfait à aucun de ces cas d'exception. Elle ne peut non plus contourner cette prohibition en tentant d'apporter la preuve testimoniale, celle de Beaulieu, d'un aveu extrajudiciaire de madame Grignon. C'est faire indirectement ce que la loi prohibe directement.   
[30] Pour sa part, Jean-Claude Royer écrit qu'un commencement de preuve peut résulter d'un aveu. Il précise toutefois que l'article 2865 C.c.Q. vise manifestement l'aveu judiciaire et l'aveu extrajudiciaire écrit. Il en serait autrement de l'aveu extrajudiciaire verbal pour lequel la seule preuve testimoniale serait toujours prohibée.   
[31] Cet auteur pose ensuite la question de savoir si un plaideur peut prouver par témoin un aveu extrajudiciaire verbal, dans le but d'obtenir un commencement de preuve qui autoriserait la preuve verbale de l'acte juridique. C'est précisément ce qu'a tenté de faire Anne.   
[32] Bien qu'il reconnaisse que d'aucuns pourraient invoquer certains arguments pour appuyer la recevabilité d'une telle preuve, se fondant sur l'article 2867 C.c.Q., Royer se dit d'avis que l'acceptation de cette preuve aurait pour conséquence de diminuer trop substantiellement la portée de cet article.   
[33] En effet, opine-t-il, un plaideur n'aurait qu'à établir un aveu extrajudiciaire verbal comme commencement de preuve pour ensuite présenter une preuve testimoniale de l'acte juridique, laquelle deviendrait corroborée par l'aveu extrajudiciaire.   
[34] Le Tribunal partage cet avis. La prohibition faite à Anne de tenter de prouver un droit d'habitation par témoignage seulement s'applique également à Beaulieu aux termes de l'article 2867 C.c.Q.   
[35] En conséquence, il y a lieu d'accueillir l'objection de madame Grignon et de déclarer inadmissible la preuve apportée par Beaulieu, preuve qui se voulait corroborative.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/q3sXy9

Référence neutre: [2011] ABD 253

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