lundi 2 mai 2011

Lorsqu'un arbitre fait défaut de se prononcer sur une question dont il était saisi, le remède approprié est le renvoi du dossier devant lui

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Que faire lorsqu'un arbitre ou un tribunal arbitral fait défaut de se prononcer sur une question qui était de son ressort? C'est la question dont traite l'Honorable juge Louis Lacoursière dans l'affaire Société Canadienne des Postes c. Dulude (2011 QCCS 1970).


Dans cette affaire, la Réquérante demande à la Cour supérieure d'exercer son pouvoir de contrôle et de surveillance à l'encontre de la sentence arbitrale rendue le 10 mars 2010 par l'arbitre. Elle allègue entre autre que l'arbitre s'est prononcé sur une question qui ne lui a pas été soumise, mais qu'il a négligé de se prononcer sur la question qui était devant lui.

Le juge Lacoursière constate d'emblée que c'est le cas de sorte qu'il annule la sentence rendue. Se pose alors la question de savoir si la solution qui s'impose est le renvoi du litige devant l'arbitre ou une décision de la Cour supérieure elle-même:
[26] Le Tribunal estime que le fait pour l'arbitre de s'être prononcé sur une question dont il n'était pas saisi constitue, sans qu'il ne soit même nécessaire de se pencher sur une norme d'intervention, un excès de compétence. Il doit entraîner l'annulation de la partie de la Décision qui conclut à une contravention par la Société des dispositions de la convention collective.
[27] Cette conclusion étant arrêtée, le Tribunal doit-il réviser le deuxième volet de la Décision pour rendre sa propre décision ou plutôt annuler la Décision et retourner le dossier à l'arbitre Dulude ou à un autre arbitre pour que la question en litige soit tranchée?
Le juge Lacoursière en vient à la conclusion que le litige doit être renvoyé à l'arbitre pour qu'il tranche la question qui lui a été soumise:
[36] Dans un arrêt récent, la Cour d'appel réitère le principe que, «à la suite d'une procédure en révision judiciaire, lorsqu'il subsiste une matière relevant de la compétence d'un tribunal administratif, il convient de lui retourner le dossier pour que celui-ci exerce la compétence qui lui revient». La Cour d'appel s'appuie sur l'arrêt Panneaux Vicply inc. c. Guindon duquel le Tribunal retient les principes suivants:
1) La Cour supérieure siégeant en révision judiciaire interviendra autant que nécessaire, mais pas davantage. [ … ] Elle (l'évocation) ne signifie pas la substitution de la Cour supérieure au corps ou au tribunal placé sous son contrôle judiciaire.
2) Dans la mesure où, après la correction de l'illégalité, subsiste une matière susceptible de relever de la compétence du tribunal inférieur, la cour doit lui renvoyer le dossier.
3) Il y a deux exceptions à ce dernier principe, soit:
a) le renvoi inutile;
b) la partialité de l'autorité administrative.
[37] La Cour d'appel cite l'arrêt Cie des transformateurs Philips Ltée c. Métallurgistes Unis d'Amérique local 7812 pour illustrer certaines circonstances rendant un renvoi au décideur impossible:
«Il nous apparaît que le dossier doive lui être retourné à moins, évidemment, qu'il soit impensable de le faire parce que, par exemple, il ne serait plus en état d'agir ou encore il ne devrait pas être saisi de nouveau du dossier parce que sa juridiction aurait été attaquée au niveau même du processus arbitral comme, par exemple, si l'évocation avait été accordée en raison de sa partialité. Nous ne sommes pas dans l'un de ces cas.»
[38] La Cour d'appel illustre aussi, dans le même arrêt Vicply, une application de l'exception de la partialité de l'autorité administrative:
«Par ailleurs, plus récemment, dans un arrêt Ordre des audioprothésistes du Québec c. Chanteur(8), M. le juge Baudouin rappelait le caractère non absolu de la règle du renvoi devant la juridiction normalement compétente. Dans cette affaire, dont les faits étaient particuliers, l'intimé détenait un diplôme français et désirait obtenir de l'Ordre un permis d'exercice permanent. Il s'était toutefois heurté à une série de délais, de tergiversations et, finalement, à un refus de l'Ordre. Le juge de la Cour supérieure a ordonné que le permis soit délivré. En appel, l'Ordre a prétendu que la Cour n'avait pas compétence pour substituer sa propre décision à celle de l'organe administratif. De prime abord, le juge Baudouin mentionnait que les faits en l'espèce étaient exceptionnels:
D'entrée de jeu, il faut bien noter que nous sommes devant un cas tout à fait exceptionnel où l'incurie de l'ordre et de ses dirigeants, leur mauvaise foi apparente et l'acharnement qu'ils ont mis à régler une vendetta personnalisée, teintée, comme le laisse entendre le juge de la Cour supérieure, de xénophobie, ne permet pas de penser que de retourner le dossier à l'organisme administratif délégué pour qu'il prenne finalement la décision présenterait une garantie minimale d'impartialité pour l'intimé (…)
[39] À partir de ces principes, le Tribunal juge non seulement qu'il subsiste une matière susceptible de relever de la compétence de l'arbitre, soit les arguments des parties relatifs à la Charte, mais aussi qu'il n'y a pas lieu de retourner le dossier à un autre arbitre.
[40] D'une part, Me Dulude a présidé à une audition de neuf (9) jours et a entendu la preuve et les plaidoiries. D'autre part, il n'apparaît pas de la Décision que l'arbitre ait fait preuve de partialité. Le fait qu'il ait décidé de l'application de la Charte à la Société dans le contexte où il l'a fait ne fait pas échec à ce qu'il puisse se prononcer de façon impartiale et complète sur la question qui lui était soumise.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/iK0sFH

Référence neutre: [2011] ABD 146

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Billette c. Montréal-Est, J.E. 2011-456 (C.A.).
2. Panneaux Vicply inc. c. Guindon, J.E. 98-109 (C.A.).

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