mardi 19 avril 2011

Un appauvrissement au Québec ne suffit pas à conclure à l'existence d'un préjudice subi au Québec

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Seul un des éléments énumérés au paragraphe 3 de l'article 3148 C.c.Q. doit être rencontré pour conférer juridiction aux tribunaux québécois. Or, une abondante jurisprudence s'est penchée sur la question de savoir ce qu'était un préjudice subi au Québec aux fins de cet article. Dans l'affaire Compagnie Canadienne d'assurances c. Bay Crane service inc. (2010 QCCQ 2232), l'Honorable juge Armando Aznar rappelle qu'un appauvrissement qui a lieu au Québec ne suffit pas.


Dans cette affaire, le tribunal est saisi d'une requête en exception déclinatoire présentée par la Défenderesse. Cette requête est fondée sur les articles 3135 et 3148 du Code civil du Québec ainsi que sur l'article 164 du Code de procédure civile. Les Demanderesses contestent la requête de la Défenderesse et plaident que les tribunaux québécois sont compétents pour entendre le litige et pour en disposer.

C'est dans ce contexte que le juge Aznar révise la juriprudence pertinente et pose le principe voulant qu'un appauvrissement n'est pas suffisant:
[18] Cependant, même si cela avait été le cas, le Tribunal est d'avis qu'il ne suffit pas qu'il y ait appauvrissement des demanderesses pour que l'on puisse conclure que le préjudice a été subi au Québec.
[19] À cet égard, dans Ace/Clear Defense Québec inc. c. Clear Defense inc. et Donald Martin, madame la Juge Marie-France Courville écrit :
« (…)
17 L'avocate de la demanderesse plaide que les tribunaux québécois ont l'autorité compétente pour disposer du présent litige en vertu du paragraphe 3 de l'article 3148 C.c.Q. parce que l préjudice a été subi au Québec.
18 Ce fait n'est pas explicitement allégué à la déclaration réamendée. Cependant, dans sa réclamation de 15 millions de dollars, la demanderesse prétend avoir subi des dommages d'une valeur de 5 millions résultant de pertes de revenus et de problèmes de garanties de manufacturier. Elle demande également 2 millions «pour les inconvénients, stress et difficultés causés par les gestes des défendeurs.»
19 Le fait que la demanderesse, dont le siège social est au Québec, est brimée par les gestes posés par les défendeurs aux Etats-Unis ne fait pas qu'un préjudice a été subi au Québec. D'autant plus qu'aucun témoin de la demanderesse n'est venu établir que c'est au Québec que le dommage s'est fait sentir.
20 De plus, l'appauvrissement de la demanderesse ne saurait équivaloir au préjudice devant avoir été subi au Québec par un demandeur pour donner compétence aux tribunaux québécois. Interpréter aussi largement la notion de préjudice rendrait inutile le reste de l'article 3148 en englobant toutes les autres situations prévues. Ceci aurait également pour effet de mettre de côté la règle qu'énonce l'article 3134 à l'effet que les autorités du Québec sont, en principe, compétentes lorsque le défendeur y a son domicile. Il suffirait désormais qu'un demandeur ait un compte de banque au Québec et qu'il allègue s'être appauvri pour donner juridiction aux tribunaux québécois à l'égard d'un défendeur étranger. »
[20] Le Tribunal réfère également à l'arrêt de la Cour d'appel dans Richelieu Projects inc. c. Western Rail inc. où elle écrit :
« (…)
3 Les faits de la requête introductive d'instance, qui doivent être tenus pour avérés, sont relativement simples. Le siège social de l'appelante est à Montréal. Celui de sa cliente est au Chili. Par ailleurs, le siège social de l'intimée est dans l'état de Washington. Enfin, les biens ayant fait l'objet du contrat se trouvaient dans l'état du Missouri et ont été livrés à la cliente chilienne de l'appelante.
4 Pour décider de l'exception déclinatoire, il faut s'en reporter à l'article 3148 C.c.Q.
6 À la lecture de la requête introductive d'instance, la perte réclamée par l'appelante résulte du défaut de l'intimée de livrer deux camions-trains suivant les spécifications convenues (paragr. 26 et 27 de la requête introductive d'instance). Or, le défaut allégué dans les procédures n'est pas survenu au Québec et la livraison par l'intimée des deux camions-trains à l'acquéreur chilien non conformes aux exigences du contrat ne fait pas en sorte qu'un préjudice a été subi au Québec.
7 Pour emprunter à la formulation du juge Marc Beauregard de la Cour dans Quebecor Printing Memphis Inc. c. Regéner Inc. , [2001] R.J.Q. 966 , paragr. [10] (C.A.), si Richelieu Projects avait raison, la compétence des tribunaux du Québec serait automatique dans le cas où le demandeur est un résident du Québec et les autres chefs de compétence visés à l'article 3148 C.c.Q. seraient inutiles. Le fait que la perte pécuniaire sera probablement comptabilisée à Montréal n'est pas un facteur attributif de compétence au sens du paragraphe 3148(3) C.c.Q. (Foster c. Kaycan Ltd., J.E. 2002-163 (C.A.).
8 Par conséquent, la requête en exception déclinatoire devait être accueillie puisque les tribunaux québécois n'ont pas compétence pour décider du recours intenté par l'appelante.
9 Compte tenu que les autorités québécoises ne sont pas compétentes pour connaître du litige, la règle du forum non conveniens codifiée à l'article 3135 C.c.Q. ne trouve pas application en l'espèce. L'article 3135 C.c.Q. demeure une disposition exceptionnelle destinée à s'appliquer de manière supplétive, comme l'a précisé la Cour suprême dans Grecon Dimter Inc. c. JR Normand Inc., [2005] 2 R.C.S. 401 . »
[21] Enfin, le Tribunal réfère à l'arrêt de la Cour d'appel dans Quebecor Printing Memphis inc. c. Regenair inc. où elle écrit :
« (…)
9 D'autre part, le refus par Quebecor d'exécuter son obligation de payer à Memphis ne peut être tenu comme un fait dommageable survenu au Québec et le fait que Regenair, dont le siège social est au Québec, ne reçoit pas le paiement de sa créance, laquelle est payable à Memphis, ne fait pas qu'un préjudice a été subi au Québec.
10 Si Regenair avait raison, la compétence des tribunaux du Québec serait automatique dans le cas où le demandeur est un résident du Québec et les autres chefs de compétence visés à l'article 3148 C.c.Q. seraient inutiles.
11 Il n'y a pas lieu d'interpréter d'une façon large l'article 3148 du fait de l'existence de l'article 3135 C.c.Q. Ce dernier article trouve application une fois qu'on a constaté qu'interprété d'une façon raisonnable, l'article 3148 confère juridiction au tribunal québécois. »
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/eTlgne

Référence neutre: [2011] ABD 131

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Ace/Clear Defense Québec inc. c. Clear Defense inc. et Donald Martin, J.E. 2002-1017 (C.S.).
2. Richelieu Projects inc. c. Western Rail inc., J.E. 2006-1282 (C.A.).
3. Quebecor Printing Memphis inc. c. Regenair inc., J.E. 2001-958 (C.A.).

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