jeudi 14 avril 2011

Les parties à un contrat ont une obligation de moyen relativement à l’accomplissement d’une condition suspensive

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

L'article 1503 C.c.Q. prévoit qu'une partie à un contrat de doit pas empêcher l'accomplissement d'une condition. Par ailleurs, les tribunaux québécois ont été plus loin et ont jugé que le débiteur de l'obligation ne peut adopter un comportement passif et a une obligation de moyen relativement à l'accomplissement d'une condition suspensive. La décision de la Cour d'appel dans Lattes des Berges Inc. (Syndic de) (2008 QCCA 617) illustre bien ce principe.


Il s'agit d'un dossier dans lequel la Cour supérieure avait condamné l'Appelante au paiement de 1 250 000 $, soit le prix d'achat que prévoyait le contrat conclu au mois d’août 2000 avec La Latte des Berges inc. et aux termes duquel l'Appelante proposait d’acheter d’importants éléments d’actifs de cette société. La vente était assujettie à la condition suivante :
La présente vente est conditionnelle à l'annulation par le Ministre des Ressources naturelles du Québec du contrat d'approvisionnement et d'aménagement forestier de vingt-quatre mille mètres cubes (24 000 m3) de sapins, épinettes, mélèzes, pins gris, peupliers et bouleaux à papier accordé à la Latte des Berges inc., et à l'émission par le même ministre d'une augmentation du contrat d'approvisionnement et d'aménagement forestier de Kruger inc. de vingt mille mètres cubes (20 000 m3) de sapin, épinettes, mélèzes et pins gris pour son usine de la Scierie Jacques Beaulieu à Longue Rive (Québec).
L'Appelante avait pris à sa charge les démarches requises pour que la condition se réalise. Cependant, la vente n'a jamais eu lieu et Latte a fait faillite lorsque le ministre des Ressources naturelles lui a purement et simplement retiré son contrat d’approvisionnement plutôt que d’accepter les transferts proposés par l'Appelante.

L'Appelante fait valoir que la condition stipulée au contrat n'a pas été remplie et qu'il s'agissait d'un facteur hors de son contrôle. La Cour d'appel confirme la décision de la Cour supérieure par laquelle cette dernière en était venue à la conclusion que l'Appelante avait une obligation de moyen et qu'elle n'a pas rempli cette obligation:
[7] En application de l'article 1503 C.c.Q., le juge a conclu que, en manquant à son obligation de moyen, Kruger avait commis une faute lourde, engageant ainsi sa responsabilité pour la totalité de la prestation due. À ce sujet, il formule les commentaires que voici :
[301] À la suite de la preuve, le Tribunal conclut que Kruger et ses représentants ont commis une faute lourde en démontrant une insouciance, qui peut être qualifiée de grossière, et un mépris, qui peut aussi être qualifié de total, des intérêts de Latte des Berges en négligeant de faire en sorte qu'il y ait une suite à sa demande déposée au MRN le 23 février 2001.
[302] Il est utile de rappeler qu'à peine un mois plus tard, le 23 mars, l'analyste Boily avait terminé son travail et recommandé qu'une réponse positive soit transmise à Kruger.
[303] Il était de la responsabilité de Kruger de faire toutes les démarches raisonnables pour obtenir réponse à sa demande.
[304] Kruger n'a rien fait d'autre que de parler avec les représentants du MRN et de se satisfaire des réponses de ses représentants.
[305] Les représentants de Kruger auraient dû agir et ils ne l'ont pas fait.
[306] Plusieurs hypothèses peuvent être avancées quant à ce qu'ils auraient dû faire, mais les plus simples sont certainement qu'ils auraient dû exiger du Ministère une réponse écrite à leur demande, voire même que Kruger réécrive au ministre Brassard pour lui demander une réponse à sa demande.
[307] Le Tribunal ne peut croire, si Kruger s'était occupée, comme elle devait le faire, de sa demande faite au MRN, que le contrat intervenu avec Latte des Berges ne se serait pas finalisé rapidement.
[308] Par suite de la faute lourde de Kruger, le Tribunal conclut que le syndic a droit de récupérer le coût entier du contrat intervenu entre Kruger et Latte des Berges, soit 1 250 000 $.
[8] C'est en fonction des ressources particulières dont disposait Kruger, un joueur majeur dans l'industrie du bois, que le juge a apprécié la qualité de sa prestation en rapport avec l'exécution de la condition dont elle avait assumé la responsabilité. La preuve révèle en effet de façon éclatante que Kruger jouissait de contacts privilégiés lui permettant d'avoir un accès rapide et facile auprès des personnes en autorité appelées à participer à la décision d'accepter ou de refuser les transferts auxquels Kruger avait subordonné son obligation d'acheter.
[9] La conclusion du juge selon laquelle Kruger avait agi de façon négligente, se contentant d'une position attentiste plutôt que proactive, trouve appui dans la preuve. Plusieurs témoins ont en effet souligné le caractère anormal de l'absence de prise de position du ministère face à la demande formulée au mois de février 2001. Le juge en a déduit que, placée devant une semblable situation, une personne raisonnable, possédant les atouts de Kruger, aurait satisfait son obligation de moyen en accomplissant des actions beaucoup plus conséquentes que les gestes, plutôt timides, que les représentants de Kruger disent avoir posés.
[...]
[15] De l’avis de la Cour, l'appelante n'a pas relevé le fardeau pesant sur ses épaules en appel, soit celui de la démonstration d’une erreur manifeste et dominante. Par ailleurs, la conclusion selon laquelle le juge n'a pas commis d'erreur révisable sur la question de l'existence d'une faute lourde scelle le sort de tous les autres moyens proposés au soutien du pourvoi.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/iapL00

Référence neutre: [2011] ABD 126

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