vendredi 4 mars 2011

La Cour d'appel tranche: un employeur qui défend son congédiement d'un employé peut invoquer tous les motifs existants au moment du congédiement, même ceux qu'il ne connaissait pas à l'époque

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La Cour d'appel a rendu un jugement très important en matière de droit de l'emploi lundi dernier. En effet, dans Perez c. Commerce d'automobile GHA Corp. (Mazda Gabriel) (2011 QCCA 377), la Cour indique qu'un employeur peut opposer à un ex-employé qui attaque son congédiement tous les manquements à ses devoirs qui existaient au moment dudit congédiement, même ceux qui étaient inconnus de l'employeur à l'époque.

Le 24 novembre 2006, un vendredi soir, l'Appelant, mécanicien au service de l'Intimée, subit un accident avec l'automobile d'un client de l'Intimée, après les heures de travail. L'accident survient alors que l'Appelant conduit à une haute vitesse (140 km/h) après avoir consommé de l'alcool. Expliquant l'accident à son employeur, l'Appelant indique qu'il souffre de problèmes d'alcoolisme. Celà amène l'Intimée à promettre de ne pas congédier l'Appelant dans la mesure où celui-ci suit une cure de désintoxication. 

L'Appelant ayant négligé de suivre une telle cure dans les délais impartis, l'Intimée le congédie. L'Appelant conteste ledit congédiement devant la Commission des relations de travail. C'est à ce moment que l'Intimée apprend que l'Appelant lui avait menti et qu'il ne souffrait pas d'un problème de consommation d'alcool. La Cour d'appel résume la situation comme suit:
[15] De tout ceci, il faut retenir que l'appelant a commis une faute grave le 24 novembre 2006 lorsqu'il a fait une joy ride avec l'automobile d'un client de l'intimée après avoir consommé de l'alcool. Il faut aussi retenir que l'intimée était disposée à passer l'éponge sur cette faute grave à la condition que l'appelant se soumette à une cure de désintoxication pour résoudre son problème de consommation d'alcool. Il faut enfin retenir que l'appelant a trompé l'intimée et obtenu sa clémence sous de fausses représentations puisque l'allégation de problème de consommation d'alcool était mensongère.
[16] La faute grave commise par l'appelant se double donc d'une seconde faute, tout aussi grave, une supercherie destinée à obtenir la clémence de l'intimée.
La question se pose donc de savoir si l'Intimée peut invoquer cette deuxième faute (que la Cour d'appel qualifie de supercherie) pour justifier le congédiement de l'Appelant même si elle n'en était pas au courant à l'époque de celui-ci. La Cour répond à cette question par l'affirmative:
[22] Lors du congédiement, l'intimée ignorait que l'appelant l'avait trompée quant à l'existence d'une problématique reliée à la consommation d'alcool. L'appelant a en effet avoué ce fait lors de son témoignage devant la Commission. La supercherie de l'appelant est un élément qui existait avant le congédiement et dont la Commission devait tenir compte dans son évaluation des circonstances du congédiement :
Ainsi, tel que le prévoit l'article 127 de la Loi sur les normes du travail qui renvoie entre autres à l'article 100.12 du Code du travail du Québec, le juge administratif [anciennement le commissaire] peut considérer toutes les circonstances du congédiement, incluant les faits qui se sont produits avant le congédiement, même s'ils ont été découverts postérieurement par l'employeur.
En matière de faits postérieurs au congédiement, nous croyons que les règles suivantes devraient s'appliquer :
[…]
1) Peu importe le contenu de la lettre de congédiement, les faits survenus antérieurement et qui ont été connus postérieurement à cette décision sont admissibles en preuve, mais encore faut-il qu'ils soient pertinents à la décision, i.e. qu'ils soient intimement liés à la prise de décision de l'employeur et à la faute commise par l'employé;
[23] Dans l'affaire Conseil de l'Éducation c. F.E.E.E.S.O. précitée, l'employeur a congédié un enseignant parce que sa conduite démontrait qu'il n'était plus en mesure d'accomplir ses fonctions. L'employé avait, en effet, transmis à son employeur deux lettres virulentes parce qu'il n'avait pas obtenu un poste qu'il convoitait. Un grief a été déposé pour contester le congédiement et, avant l'audition de celui-ci, l'enseignant a récidivé et transmis une troisième lettre qui était moins injurieuse et menaçante que les précédentes, mais qui témoignait d'une amertume dévorante. La Cour suprême déclare que les arbitres ont commis une erreur grave en ne tenant pas compte de la troisième lettre :

74. Il est vrai que la troisième lettre est, dans une certaine mesure, la «preuve d’événements subséquents», puisqu’elle a été rédigée après le congédiement de M. Bhadauria. Cependant, il a été jugé qu’une telle preuve peut à juste titre être prise en considération «si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné»: Cie minière Québec Cartier c. Québec (Arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095 , à la p. 1101. En l’espèce, non seulement aurait-il été raisonnable que les arbitres prennent la troisième lettre en considération, mais ils ont commis une erreur grave en ne le faisant pas.
[24] Dans Pro-quai inc. c Tanguay, la Cour affirme le même principe :
[48] Les intimés font pourtant valoir qu'on ne saurait tenir compte de cet événement car il n'a pas motivé le congédiement, n'étant pas connu de l'employeur lorsque celui-ci, le 14 décembre 2001, a procédé à la résiliation du contrat. Je ne suis pas d'accord avec ce point de vue.
[49] Récemment, la Cour suprême du Canada, dans Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la Vie, rappelle ce qui suit au paragraphe 67 :
[67] L'employeur a toutefois le fardeau de démontrer le caractère juste et raisonnable d'une décision qui touche de manière fondamentale à l'exécution des prestations prévues au contrat de travail. Aussi, afin d'évaluer le caractère raisonnable d'une suspension dans un cas donné, il faut se placer au moment où la décision a été prise, même si le salarié a été ultérieurement acquitté. (Voir C.U.M. et Fraternité des policiers de la C.U.M., D.T.E. 86T-312 (T.A.).) Toutefois, les faits postérieurs à une décision de l'employeur sont recevables en preuve s'ils sont pertinents et s'ils permettent de déterminer si la décision de l'employeur était fondée au moment où il l'a prise. (Voir Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs) [1995] 2 R.C.S. 1095 .)
[50] Or, en l'espèce, nous n'avons pas affaire à un fait postérieur au congédiement, mais bien à un fait antérieur, que l'employeur ignorait au moment du congédiement, qu'il a découvert par la suite et qui est hautement pertinent en ce qu'il illustre la légèreté avec laquelle Tanguay traite l'argent de son employeur, lorsqu'il y trouve son compte. A fortiori, un tel fait est recevable, dans les circonstances, tant pour évaluer le congédiement de Tanguay que sa crédibilité.
7. Par contraste avec la situation en cause dans Audet c. Cimatec Environmental Engineering Inc., J.E. 2003-32 (C.A.), où l'employeur, dans sa défense à l'action du salarié, invoquait pour la première fois comme motif de congédiement une série de faits antérieurs au congédiement. Ces faits, cependant, étaient bien connus de l'employeur au moment du congédiement. Comme l'écrit la Cour : « Nous n'affirmons pas qu'un employeur doit se limiter aux seuls griefs invoqués lors de la terminaison de l'emploi. Mais s'il invoque plus tard des griefs qui reposent sur des faits antérieurs connus, qu'il n'a pas repris lors du congédiement, la force probante de la preuve et le caractère sérieux de ces motifs peuvent en être affectés » (paragr. 6). Voir également Georges AUDET, Robert BONHOMME et Clément GASCON, Le congédiement en droit québécois, 3e éd. (feuilles mobiles), Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1991, aux paragr. 4.1.10 à 4.1.13.
[25] Dans le présent dossier, il est évident que la « dernière chance » donnée à l'appelant par l'intimée de subir une cure de désintoxication pour résoudre son problème de consommation d'alcool — au lieu de le congédier — était intimement liée à l'existence d'un tel problème. Dans la mesure où la condition n'existait pas, la « dernière chance » tombait.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/enYYq9

Référence neutre: [2011] ABD 74

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Conseil de l'Éducation c. F.E.E.E.S.O., J.E. 97-570 (C.S.C.).
2. Pro-quai inc. c Tanguay, J.E. 2006-138 (C.A.).

1 commentaire:

  1. En effet, il y a lieu ici de distinguer, comme la Cour d'appel le fait, l'admissibilité d'une preuve postérieure de l'admissibilité d'une preuve qui existait au moment où l'employeur a pris sa décision, mais qui lui était inconnue à l'époque.

    Dans ce contexte, si l'employeur avait appris que son salarié n'était pas en mesure de justifier son comportement par un "handicap" quelconque (comme l'alcoolisme) il l'aurait tout simplement congédier.

    Toutefois, je crois qu'il en serait tout autrement si l'employeur s'était servi de cet élément nouveau pour motiver le congédiement du salarié parce que ce dernier lui aurait menti. Est-ce qu'à ce moment la preuve serait admissible, la question mérite d'être posée...

    Julie Desrosiers
    Castiglio & Associés

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