jeudi 3 mars 2011

L'obligation de remettre les lieux loués en bon état en est une de résultat

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

L'article 1890 du Code civil du Québec prévoit l'obligation, pour le locataire, de remettre le bien loué en bon état. Dans plusieurs causes, la question s'est posée de savoir quelle était l'intensité de cette obligation et sur quelle partie reposait le fardeau de la preuve en la matière. Dans Immeubles Y. Maheux ltée. c. Gestion KCL West inc. (2011 QCCS 815), l'Honorable juge Suzanne Hardy-Lemieux répond à cette question.


Dans cette affaire, la Demanderesse requiert du Tribunal qu'il condamne la Défenderesse à l'indemniser pour les dommages que celle-ci, à titre de locataire, a causés aux lieux qu'elle lui loue et ce, tant à l'intérieur de l'édifice qu'à l'extérieur de celui-ci.

Dans ce contexte, la juge Hardy-Lemieux doit d'abord discuter de l'intensité de l'obligation de remettre les lieux en bon état. Elle réfère à la doctrine pertinente qui indique qu'il s'agit d'une obligation de résultat:
[65] Le professeur Deslauriers dans son ouvrage «Vente, louage, contrat d'entreprise ou de services» précise quant à lui que:

«Le locataire répond des dégradations et des pertes survenues au bien loué pendant sa jouissance (art. 1862 C.c.Q.). Il est présumé en être responsable puisqu'il a la garde matérielle du bien loué et qu'il a l'obligation de le conserver ou de le remettre à la fin du bail avec ses accessoires dans l'état où il l'a reçu (art. 1890 C.c.Q.). Le locataire peut cependant s'exonérer en prouvant l'absence de faute de sa part. À défaut de preuve contraire, le locataire est présumé avoir reçu le bien en bon état, présomption qu'il peut renverser en prouvant que les pertes n'ont pas été causées par sa faute, ni celle des personnes à qui il a permis l'usage ou l'accès au bien loué. Cette preuve nécessite l'identification de l'auteur des dégradations, ce dernier devant être un tiers autre qu'une personne à qui le locataire permet l'usage du bien.»
[66] Plus particulièrement, en ce qui concerne l'état dans lequel le bien loué doit être remis, le professeur Jobin précise qu'il s'agit d'une obligation de résultat et, s'il y a eu défaut d'entretien pendant le bail ou des pertes causées par le locataire, il s'exprime ainsi:
«105. Défauts d'entretien et pertes. Le premier alinéa de l'article 1890 exige le locataire à «remettre le bien dans l'état où il l'a reçu», mais, ajoute la disposition, «il n'est pas tenu des changements résultant de la vétusté, de l'usure normale du bien ou d'une force majeure». Comme la défense d'absence de faute n'est pas prévue, il s'agit d'une présomption de responsabilité. Cette disposition pose un problème d'interprétation. Les moyens par lesquels le locataire peut repousser cette présomption sont très semblables à ceux prévus à l'article 1864 pour repousser la présomption selon laquelle la réparation des menus défauts d'entretien est à la charge du locataire. (…) L'article 1890 paraît donc être le complément de l'article 1864: le premier s'applique aux réparations locatives constatées lors de la restitution du bien loué, le second, aux réparations locatives pour lesquelles le locateur exerce ses droits en cours de louage.»
Cela a des implications importantes au niveau du fardeau de la preuve. Comme l'indique la juge Hardy-Lemieux, à partir du moment où le locateur a prouvé le bon état des lieux au moment de la location, c'est au locataire qu'incombe le fardeau de démontrer que la détérioration des lieux est due à l'usure normale, la vétusité des lieux ou une force majeure:
[67] Au sujet de la preuve de l'état du bien lors de sa restitution, le professeur Jobin rappelle le principe de la présomption du bien loué comme ayant été reçu en bon état. Cette présomption, selon lui, s'applique tant à l'obligation de conservation qu'à celle d'entretien. Il précise que lorsque le locateur prouve qu'il y a eu défaut d'entretien ou une perte causée par le locataire pendant la durée du bail, il y a un renversement du fardeau de preuve. Dès lors, le locataire ne peut invoquer et prouver que ce défaut est causé par une force majeure, la vétusté des lieux ou l'usure normale de ceux-ci ou encore le défaut par le locateur de maintenir le bien en bon état de conservation pendant la durée du bail. Finalement, le locataire peut aussi tenter de prouver l'absence de faute de sa part ou des personnes qui sont soumises à son autorité.
[68] En l'espèce, comme on le sait, la preuve non contredite établie que les lieux loués sont livrés en bon état. Lors de leur remise, la prépondérance de la preuve établit, de l'avis du Tribunal, qu'ils ne sont pas en bon état. Dans ces circonstances, le locataire a le fardeau de prouver que les lieux loués se retrouvent dans cet état en raison soit, de la vétusté des lieux ou de leur usage normal.
[69] De l'avis du Tribunal, le locataire doit donc établir qu'il agit, au fil des ans, de façon prudente dans les lieux loués et qu'il utilise ceux-ci sans leur causer de dommages anormaux ou excessifs.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/f5txsI

Référence neutre: [2011] ABD 73

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