par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.
Même si le concept de "tortious interference" de la common law n'a pas été importé stricto sensu en droit civil québécois, il reste qu'il existe des situations où l'intervention d'un tiers dans une relation contractuelle existante constituera une faute. Dans Plani-Gestion Millionnaire inc. c. Société des loteries du Québec (2011 QCCS 1084), l'Honorable juge Jean-François de Grandpré rappelle par ailleurs qu'il faudra absolument démontrer que le tiers en question connaissait ladite relation contractuelle.
Dans cette affaire, les Demandeurs poursuivent les Défenderesses en dommages-intérêts pour une somme de 8 968 284,65 $ au motif que certains journaux ont résilié des contrats de publicité, sous la pression exercée par la Société des loteries du Québec qui craignait la confusion ou la publicité trompeuse véhiculée par leur annonce.
Dans cette affaire, les Demandeurs poursuivent les Défenderesses en dommages-intérêts pour une somme de 8 968 284,65 $ au motif que certains journaux ont résilié des contrats de publicité, sous la pression exercée par la Société des loteries du Québec qui craignait la confusion ou la publicité trompeuse véhiculée par leur annonce.
Le juge de Grandpré met d'abord de l'avant les principes juridiques applicables, dont la nécessité de démontrer que le tiers auquel l'on reproche d'avoir intervenu dans une relation contractuelle avait connaissance de celle-ci:
[64] La jurisprudence et la doctrine reconnaissent qu'un tiers à un contrat commet une faute seulement s'il incite une des parties à briser ou violer le contrat. Par contre, pour que l'intervention d'un tiers soit fautive, elle doit remplir certaines conditions. Ces conditions sont énoncées dans l'ouvrage" Les obligations" de Baudouin et Jobin. Elles se résument comme suit:«(a) Le tiers doit avoir connaissance du contrat intervenu entre les parties;
(b) Le tiers doit avoir incité une des parties à rompre ou violer le contrat;
(c) C'est à la partie lésée qu'il incombe de prouver la connaissance du tiers de l'obligation en cause;
(d) Par contre, il n'a pas l'obligation de prouver l'intention de nuire au bénéficiaire du contrat.»[65] Il découle de la décision de principe en la matière que, pour qu'une intervention soit fautive, le tiers doit avoir sciemment incité une partie à briser son contrat. La Cour suprême approuve favorablement le passage suivant du jugement de première instance dans Trudel c. Clairol Inc. of Canada [1975] 2R.C.S. 236 page 241 qui énonce:«Il est certain que si le défendeur se rend complice de la violation du contrat intervenu entre la demanderesse et chacun de ses agents, il commet une faute délictuelle entraînant sa responsabilité[…] car il y a faute contre l'honnêteté de s'associer sciemment à la violation d'un contrat.»
En l'instance, le juge de Grandpré ne trouve pas dans la preuve une indication que la Défenderesse avait connaissance des contrats, encore moins de leurs modalités:
[66] Aucune des conditions donnant ouverture à une réclamation pour intervention fautive n'est remplie.
[67] Loto-Québec ne connaissait pas l'existence des contrats intervenus entre Plani-Gestion et les deux défenderesses et encore moins les particularités de ces contrats, le cas échéant. Les demandeurs n'ont offert aucune preuve à cet égard. Qui plus est, Loto-Québec reconnaît elle-même qu'elle n'a aucun contrôle sur le positionnement de ses annonces.
[68] En aucun temps, Loto-Québec n'a été informée que Plani-Gestion aurait convenu avec le Journal de Montréal et La Presse que ses annonces recevraient un positionnement préférentiel et paraîtraient sur la même page que les résultats de loterie.
[69] Lorsque informée que ses annonces ne paraîtraient plus à côté de celle de Loto-Québec, Plani-Gestion n'a pas mis les journaux en demeure d'honorer quelque contrat à cet égard. La preuve ne permet pas de conclure que Loto-Québec s'est associée sciemment et en toute connaissance de cause à la violation d'un contrat, si tant est qu'il y aurait eu violation.
[70] Le fait que Loto-Québec veuille éviter toute confusion entre son entreprise et celle de la demanderesse ne constitue pas une ingérence injustifiée ou fautive. Tel qu'indiqué plus haut, la publicité de la demanderesse risque de laisser croire au public qu'elle est liée à Loto-Québec. Or, crédibilité et intégrité sont essentielles pour toute société opérant des loteries. Il n'y a pas de preuve que Loto-Québec ait intimé quelque ordre ou fait quelque pression sur le Journal de Montréal ou La Presse; elle a simplement demandé qu'on déplace les annonces afin d'éviter la confusion que la disposition des deux annonces pouvait créer. Les personnes contactées ont pris les dispositions nécessaires sans aucune autre manifestation de la part de Loto-Québec.
Référence neutre: [2011] ABD 90
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