vendredi 18 février 2011

Les conclusions factuelles d'un juge de première instance doivent être traitées avec déférence même lorsqu'il ne s'est basé que sur un dossier écrit

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

L'on pose souvent comme principe que la déférence donnée par les instances d'appel aux conclusions factuelles et aux inférences tirées par le juge de première instance repose sur le fait que celui-ci était dans une position privilégiée, ayant pu apprécier la crédibilité des témoins en personne. Or, il ne s'agit là que d'une partie de la réponse. En effet, l'assise principale de cette déférence trouve son fondement dans le souçis qu'on les tribunaux d'appel de ne pas refaire le procès une deuxième fois comme le démontre la décision récente de la Cour d'appel dans Bellido c. Société générale de financement du Québec (2011 QCCA 297).


Les circonstances de cette affaire sont particulières. Après l'enquête et l'audition en première instance, lors du délibéré, des circonstances particulières ont entraîné la récusation du juge. D'un commun accord, les parties ont en conséquence plaidé la cause devant un autre juge à partir du dossier tel que constitué, lequel comprenait alors la transcription complète de l'enregistrement mécanique. Après avoir entendu les avocats et analysé toute la preuve, le juge a conclu que l'Intimée n'avait pas congédié l'Appelant mais que celui-ci avait plutôt volontairement démissionné. Il a aussi retenu que l'Intimée n'avait pas entaché sa réputation.

L'appelant soulève plusieurs moyens en appel, mais, pour nos fins, il suffit de noter que celui-ci fait valoir que la Cour d'appel devrait accorder une déférence de moindre intensité envers les conclusions de fait tirées par le juge, parce que la Cour se trouverait exceptionnellement dans une position identique à celle de la Cour supérieure.

La Cour d'appel rejette cet argument et rappelle que la déférence accordée à l'analyse de la preuve par le juge de première instance se fonde non seulement sur sa "proximité" à la preuve, mais surtout sur la nécessité de ne pas recommencer le procès en appel:
[8] En second lieu, la Cour ne souscrit pas au postulat selon lequel l'appelant serait dispensé d'identifier une ou des erreurs manifestes et dominantes pour donner ouverture à un réexamen global de la preuve. Un arrêt récent rappelle ce principe dans les termes suivants:

Essentiellement, les appelants s'en prennent à l'évaluation de la preuve faite par le juge de première instance. Même si celui-ci a rendu le jugement attaqué sur la foi des transcriptions et des plaidoiries devant lui, à la suite de la récusation de la juge ayant présidé l'enquête, la Cour ne peut intervenir que sur démonstration d'une erreur manifeste et dominante. En effet, le juge qui a prononcé le jugement jouit de la même déférence que le juge qui entend la preuve et les plaidoiries, puis rend jugement (St-Jean c. Mercier, [2002] 1 r.c.s. 491, 507-508; Cooke c. Suite [1995] R.J.Q. 2765 , 2771 (C.A.)). Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l'arrêt H.L. c. Canada (P.G.), 2005 CSC 251, une cour d'appel ne peut substituer à l'inférence raisonnable retenue par le juge de première instance sa propre inférence.
[9] En l'espèce, faute d'identifier une ou des erreurs de cette nature, l'appelant ne peut réussir. Comme le soulignait notamment la juge Rayle dans Assurances générales des Caisses Desjardins inc. c. ING Groupe Commerce :
[4] Un appel n'est pas une nouvelle audition complète; une cour d'appel ne peut à bon droit infirmer une décision de première instance lorsque la seule question en litige porte sur l'interprétation de l'ensemble de la preuve
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/gXfnnX

Référence neutre: [2011] ABD 58

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Lafond c. Pétroles Crevier inc., J.E. 2007-260 (C.A.).
2. Assurances générales des Caisses Desjardins inc. c. ING Groupe Commerce, J.E. 2007-1059 (C.A.).

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