par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.
En matière de recours collectif, la question de requêtes en autorisation concurrentes déposées dans différentes juridictions est épineuse. En particulier, la question des classes nationales fait couler beaucoup d'encre en jurisprudence et doctrine. C'est pourquoi nous attirons aujourd'hui votre attention sur l'affaire Labrecque c. General Motors of Canada Ltd. (2011 QCCS 266), où l'Honorable juge Marie Gaudreau de la Cour supérieure traite des critères applicables en matière de litispendance au stade de l'autorisation d'un recours collectif.
Dans cette affaire, la Cour est saisie d'une requête en suspension de procédures présentée par l'Intimée en vertu des articles 54.1, 1010.1, 1012 du Code de procédure civile et 3137 du Code civil du Québec, à l'encontre de la requête amendée en autorisation de recours collectif intenté par la Requérante au nom des personnes résidant au Canada ayant acheté ou loué de GMCL les véhicules suivants affectés d'un problème de transmission. En effet, quelques jours avant l'institution dudit recours collectif, un recours fondé sur les mêmes faits avait été déposé par les mêmes procureurs en Saskatchewan. Le groupe dans ce dernier recours inclut les résidents québécois. Ni l'un ni l'autre des recours ne sont autorisés.
Dans cette affaire, la Cour est saisie d'une requête en suspension de procédures présentée par l'Intimée en vertu des articles 54.1, 1010.1, 1012 du Code de procédure civile et 3137 du Code civil du Québec, à l'encontre de la requête amendée en autorisation de recours collectif intenté par la Requérante au nom des personnes résidant au Canada ayant acheté ou loué de GMCL les véhicules suivants affectés d'un problème de transmission. En effet, quelques jours avant l'institution dudit recours collectif, un recours fondé sur les mêmes faits avait été déposé par les mêmes procureurs en Saskatchewan. Le groupe dans ce dernier recours inclut les résidents québécois. Ni l'un ni l'autre des recours ne sont autorisés.
La juge Gaudreau expose d'abord les principes juridiques applicables en la matière et, en particulier, rappelle que le test de la litispendance est quelque peu différent en matière de recours collectif:
[12] La Cour d'appel a statué qu'une apparence de litispendance est suffisante puisque au stade du présent dossier, l'objet du litige est la recherche de l'autorisation.« L'exception de litispendance obéit aux principes applicables à la chose jugée. Pour qu'il y ait litispendance, il doit y avoir identité de parties, d'objet et de cause (2848 C.c.Q.). La litispendance, si elle existe en l'espèce, doit être analysée en fonction des règles particulières au recours collectif. Ce recours se scinde en plusieurs phases dont la première est celle dite d'autorisation d'exercice.
(…)
Il m'apparaît approprié, dans les circonstances, de suspendre les requêtes de Idlin et de l'ACEF jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête de Hotte laissant par la suite aux parties la possibilité de soulever la présomption de la chose jugée à l'encontre de ces deux requêtes, s'il y a lieu.
(…)
La Cour supérieure aurait dû conclure à une apparence de litispendance et utiliser sa compétence inhérente pour ordonner la suspension des dossiers d'Idlin et de l'ACEF. La Cour a reconnu le pouvoir des tribunaux de première instance de contrôler leurs dossiers en confirmant la décision prise de ne pas porter au rôle une cause faisant l'objet d'un recours basé sur les mêmes faits. Nous avons appliqué une décision similaire dans l'arrêt Bello c. David. »[13] Par ailleurs, la Cour suprême a décidé qu'en matière de recours collectif à portée internationale, les critères permettant de conclure à une litispendance sont assouplis, l'identité de cause étant substituée par l'identité des faits.
« [51] Il faut donc examiner maintenant si la litispendance empêchait en l’espèce la reconnaissance du jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Les conditions d’existence de la litispendance sont bien établies dans l’ordre interne en droit civil québécois. Comme la chose jugée, la litispendance repose sur l’identité des parties, de la cause d’action et de l’objet (J.-C. Royer, La preuve civile (4e éd. 2008), nos 788-789, p. 635; Rocois Construction Inc. c. Québec Ready Mix Inc., [1990] 2 R.C.S. 440 ). Toutefois, dans les situations qui relèvent du droit international privé, le Code civil du Québec modifie en partie la nature des identités nécessaires pour qu’il y ait litispendance. En particulier, à l’art. 3137 comme au par. 3155(4), le Code conserve l’identité des parties et de l’objet, mais substitue l’identité des faits à la base des recours à celle de la cause d’action.
[52] Cette modification prend en compte la difficulté de concilier les traits particuliers des systèmes juridiques en rapport, ainsi que la diversité des concepts de droit substantiel et des règles de procédure qu’ils emploient. Le juge québécois se penche alors sur les faits à la base des recours et ne cherche pas à retrouver l’identité des causes d’action au-delà des différences entre les systèmes juridiques considérés. L’analyse se concentre alors davantage sur les objets respectifs des deux demandes en justice (Birdsall, p. 1351-1352; Goldstein et Groffier, p. 325-326). »[14] L'honorable juge Francine Nantel résume ainsi les principes applicables dans les cas de litispendance en matière de recours collectif international :« [15] Ces principes sont bien connus et reposent sur la règle des trois identités :
a) identité des parties;
b) identité d'objet; et
c) identité de cause.
[16] Dans les situations qui relèvent du droit international privé, le Code civil du Québec modifie en partie la nature des identités nécessaires à la litispendance. Certains éléments distinctifs, définis à l'article 3137 C.c.Q., apportent une variante à la notion traditionnelle de litispendance.
[17] Tel que l'écrivent Mes Eric Dunberry et Christine LeBrun : Un premier élément distinctif réside dans le fait que l'exigence de « l'identité de cause » est remplacée par celle de « l'identité des faits ».
[18] Néanmoins, la litispendance en droit international privé a la même finalité que la litispendance en droit interne, soit d'éviter la multiplicité des procès et la possibilité de jugements contradictoires. Ainsi, elle évite aux parties poursuivies les inconvénients pouvant découler de recours multiples.
[19] La litispendance en matière de recours collectif interprovincial peut être constatée avant même l'autorisation du recours, la Cour suprême ayant récemment confirmé de principe puisque la demande en autorisation constitue une forme de débat judiciaire engagé entre les parties pour déterminer si un recours collectif verra le jour.
L'exception de la litispendance doit donc être analysée en fonction des règles particulières au recours collectif et en l'espèce, à un recours collectif interprovincial. »[15] Ainsi, même si ce ne sont pas les mêmes personnes nommées, en l'absence d'identité physique, il faut rechercher l'identité légale:« L'identité du représentant dans le cadre du recours collectif peut varier au cours de la procédure collective, mais il y en a toujours un pour l'ensemble des membres. La jurisprudence n'exige pas l'identité physique des parties, mais leur identité juridique (Hotte c. Servier Canada Inc., [1999] R.J.Q. 2598 (C.A.), p. 2601; Roberge c. Bolduc, [1991] 1 S.C.R. 374 , p. 410-411). »[16] En effet, c'est à titre de membres d'un groupe que ces individus agissent et le fait d'amender pour en substituer un ou ajouter une partie codéfenderesse, ne rend pas les deux recours dissemblables; au contraire, cela peut même bénéficier à tous les membres du groupe.
[17] Cette qualité de membre d'un groupe constitue leur véritable identité juridique.
À la lumière des faits en l'instance, la juge Gaudreau en vient à la conclusion que la suspension du recours collectif québécois est souhaitable en l'instance:
[18] Il ressort par ailleurs d'une saine gestion qu'un seul recours soit débattu, soit celui qui a été initié en premier.
[19] S'il est autorisé, ses effets viseront tous les Canadiens, dont les Québécois. S'il est rejeté ou que le Québec n'est pas visé, il sera toujours possible de réactiver la présente instance.
[20] Ainsi, la requérante et les membres qu'elle représente ne perdent aucun droit.
[...]
[24] L'exception de litispendance n'est pas automatique, mais elle n'a rien d'exceptionnel.
[25] Le Tribunal est d'avis que ces deux recours collectifs de nature similaire ne doivent pas être poursuivis de façon parallèle compte tenu des coûts et risques de décision contradictoire.
[26] Il y a lieu de suspendre la présente instance jusqu'à ce que le débat sur l'autorisation (certification) en Saskatchewan soit vidé.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/eQBbuN
Référence neutre: [2011] ABD 61
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