mercredi 26 janvier 2011

La prescription court nonobstant l'ignorance par une partie d'un motif juridique de nullité absolue

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Le fait d'ignorer l'existence d'un motif juridique d'annulation d'un contrat est-il une impossibilité d'agir pour les fins de la prescription? La réponse demeure-t-elle la même s'il s'agit de nullité absolue? L'Honorable juge William Fraiberg répond à ces deux questions dans son jugement récent dans l'affaire Raymond Chabot Inc. c. Fondation communautaire de Lachine (2011 QCCS 60).


Les faits de cette affaire sont relatifs à la fermeture et la liquidation de l'hôpital général de Lachine conformément à la Loi sur les services de santé et les services sociaux. D'avis que plusieurs transferts financiers était illégaux, le Demanderesse, liquidatrice de l'hôpital nommé par le Ministre de la santé et des services sociaux, cherche à récupérer 3 480 955,58$ de la Défenderesse, récipiendaire desdits transferts. Les transferts ont eu lieu entre juin 1995 et février 1996, alors que la Demanderesse institue ses procédures en octobre 1999, soit plus de 3 ans après les transferts.

Ainsi, la Défenderesse, en plus de contester le bien-fondé de la position de la Demanderesse, oppose la prescription triennalle au recours.

Le juge Fraiberg indique d'abord que la Liquidatrice se retrouve dans la même situation que l'hôpital, et non pas en meilleure situation en matière de prescription comme elle le plaide:
[48] The situation is different here.  The Liquidator's rights of action are neither greater nor less than those of the Hospital, since it is exclusively the latter's property, inclusive of rights of action, that is entrusted and must be preserved.  The Hospital's patrimonial rights are not enhanced by the liquidation, nor does the Liquidator possess rights other than those that devolve to it from the Hospital. 
Il se penche ensuite sur l'argument de la Demanderesse voulant que les membres du conseil d'administration agissait de bonne foi et n'était pas au courant du fait que les transferts étaient illégaux, suspendant ainsi la prescription. Le juge Fraiberg rejette également cet argument, rappelant que l'impossibilité d'agir ne peut être que factuelle et ne peut résulter de l'ignorance de la loi:
[53] However, in the view of the Court, article 2927 C.C.Q. applies to factual rather than legal causes of nullity. That is apparent from its reference to fear, fraud and violence which are factual grounds of vitiation of consent, itself a mixed matter of fact and law. The same may be said of self-induced error as to the object of the contract or a material consideration for entering it.
[54] These grounds relate to the state of mind of a party concerning matters of fact. A mistake in law, however, is not a ground to suspend extinctive prescription.
[55] Such a conclusion may be reached by considering article 2634 C.C.Q. which provides that error of law is not a cause for annulling a transaction, and more importantly, in view of its general application, section 39 of the Interpretation Act, which reads:

39. Every statute shall be public unless declared to be private.
Everyone is bound to take cognizance of public statutes, but private statutes must be pleaded.
[56] The Hospital's ignorance of a ground of absolute nullity deriving from a public statute, the L.S.S.S.S., cannot therefore be invoked to suspend prescription until the moment its agents understood or were aware of how that law applied.
[57] If ignorance of the law could suspend prescription, it would be far too easy for litigants to plead it whenever rights of action were otherwise prescribed. That possibility would put at risk indefinitely any fully performed contract that was subject to annulment on a ground of directive public order, thereby defeating the purpose of prescription.
Finalement, citant les auteurs Baudouin et Jobin, le juge Fraiberg rejette la prétention voulant que la nullité absolue d'un contrat ne puisse jamais être couverte par la prescription:
[58] The possibility is considered by Baudouin and Jobin, who opine that such a contract once executed cannot be set aside after three years:

Il apparaît de prime abord peu juridique d'affirmer qu'un contrat nul de nullité absolue puisse créer un lien d'obligation devenant valable par le seul écoulement d'un laps de temps. On conçoit mal, en effet, que le simple passage du temps puisse suppléer aux déficiences et aux carences fondamentales d'un contrat. C'est pourquoi certains auteurs estiment que la nullité absolue ne se prescrit jamais. Il s'agit là, à notre avis, d'une vision aujourd'hui abandonnée. Si le contrat entaché d'une telle nullité n'a pas été exécuté en tout ou en partie, en réalité l'écoulement de la période de prescription n'a pas pour effet de le rendre valide et de permettre une demande en exécution puisque, quel que puisse être le laps de temps entre la conclusion du contrat et la demande d'exécution du contrat, le contractant peut toujours opposer la nullité par voie d'exception. Si, par contre, ce même contrat a été exécuté en tout ou en partie, le contractant qui a fourni cette exécution n'est pas admis après trois ans à invoquer la nullité pour répéter les sommes payées ou revendiquer les objets livrés par lui. L'intérêt public cède devant l'intérêt privé. Le but et l'effet de la prescription ne sont donc pas de rendre valide un contrat qui ne l'est pas, mais seulement d'empêcher les actions pouvant surgir à son propos après un certain temps. Il est vrai toutefois que la prescription aura parfois, dans les faits, l'effet secondaire de rendre inattaquable un contrat nul en principe.
Il s'agit là d'un jugement très intéressant et éducatif en matière de prescription.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/hGIr7P

Référence neutre: [2011] ABD 30

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