mardi 25 janvier 2011

La bonne foi du notaire instrumentant n'est pas un obstacle à une inscription en faux

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Le fardeau à remplir pour avoir gain de cause dans une requête en inscription en faux est particulièrement élevé. Cependant, comme le rappelle la décision récente de l'Honorable juge Lise Matteau de la Cour supérieure dans Cayer c. Migneault (2011 QCCS 54), ce fardeau n'inclut pas celui de prouver la mauvaise foi du notaire instrumentant.


Dans cette affaire, la Défenderesse présente une inscription en faux partielle à l'encontre d'une convention d'indivision. En effet, elle allègue que le notaire instrumentant a incorrectement traduit l'intention des comparants en omettant de mentionner qu'à la fin de la copropriété, le montant de cent mille dollars (100 000 $) devait être remboursé prioritairement à la Défenderesse avant que le profit net résultant de la disposition de l'immeuble soit partagé en parts égales les parties.

La juge Matteau effectue d'abord une revue sommaire de la jurisprudence pertinente et rappelle que la bonne foi du notaire instrumentant n'est pas un obstacle à l'inscription en faux. La question centrale est celle de savoir si l'acte notarié traduit fidèlement la volonté des parties:
[18] Dans l'affaire Corporation municipale du village de St-Stanilas-de-Kostka c. Dumouchel fréquemment citée en pareille matière, monsieur le juge Pierre Boudreault, alors à cette Cour, résume de façon claire et succincte le droit relatif à l'inscription de faux:

"(…)
Il y a deux sortes de faux, chacun étant susceptible d'ouvrir la voie de l'inscription de faux, soit le faux matériel et le faux intellectuel. Le premier découle d'un changement matériel, de l'altération physique apportée à un acte notarié. Le deuxième affecte la substance même de l'acte. Il est la traduction fautive et la consignation erronée par le notaire de la volonté exprimée des parties.
Il y a lieu de s'inscrire en faux, soit pour un faux matériel, soit pour un faux intellectuel, lorsque le notaire a mal constaté, par erreur ou inadvertance, ce qu'il avait mission de constater à titre d'officier public ayant pouvoir d'authentifier certains actes. L'erreur doit émaner du notaire; le faux doit résulter de l'acte même de l'officier public, car s'il a correctement inscrit ce qu'il a perçu et constaté, ce que les parties lui ont représenté, il n'y a pas de faux. Si ce sont les parties (ou l'une d'elles) qui ont induit le notaire en erreur, l'inscription de faux n'est pas la procédure appropriée. Ainsi, toute autre déclaration ou fait que le notaire n'a pas mission de constater et dont la sincérité ou vérité est mise en doute sera contesté par d'autres procédures que l'inscription de faux qui met en cause la sincérité de l'officier public. La distinction est d'importance en ce qui concerne entre autres l'administration des règles de preuve.
Bref, c'est seulement lorsque la véracité et la sincérité du témoignage de l'officier public dans l'acte qu'il rédige est mise en doute qu'il y a lieu à l'inscription de faux."
[19] Dans l'affaire Fournier c. Deluxe Cleaners, la Cour d'appel précise notamment ce qui suit:
"(…)
En droit, l'omission du notaire de représenter dans son acte les termes de la convention sur laquelle les parties se sont préalablement entendues et qu'il avait mission de constater donne lieu à l'inscription de faux. De plus, ce droit à l'inscription de faux subsiste même si le notaire était de bonne foi et si l'inexactitude de son acte repose sur une simple erreur de sa part. Mais encore faut-il que l'erreur provienne du notaire et non des parties et que son acte soit contraire aux instructions reçues.
Cette doctrine est très bien exposée dans l'arrêt de Vallée c. Corriveau (1947 B.R. 674 ). Dans cette affaire, la preuve du demandeur lui-même permettait de conclure que le notaire n'avait pas agi selon ses instructions. Aussi, notre Cour d'appel rejetant son action en nullité de l'acte concluait que le demandeur aurait alors dû procéder par voie d'inscription de faux.
Concernant les devoirs du notaire en rapport avec l'inscription de faux, on trouve à la page 683 cet exposé de M. le Juge Gagné:
«Or, le premier devoir du notaire dans les actes qu'il est chargé de recevoir comme tel, c'est de traduire fidèlement les conventions que les parties lui ont donné instructions de relater. S'il exprime erronément ou inexactement ces déclarations, s'il les dénature, il manque à son devoir. Mais on ne peut prouver telle erreur ou telle altération sans d'abord se pourvoir par inscription de faux.» (…)."
[20] Par ailleurs, nos tribunaux ont décidé qu'une partie seulement d'un acte peut être affectée de faux sans pour autant mettre à néant le reste de l'acte auquel est conservé son caractère authentique.
En l'instance, puisque la preuve, incluant le témoignage du notaire instrumentant lui-même, supporte la thèse de la Défenderesse, la juge Matteau accueille l'inscription en faux.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/hEOq5W

Référence neutre: [2011] ABD 29

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Corporation municipale du village de St-Stanilas-de-Kostka c. Dumouchel, J.E. 88-1393 (C.S.).

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