mercredi 22 décembre 2010

Pour interrompre la prescription, une reconnaissance de dette doit être claire et sans équivoque

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

L’article 2898 du Code civil du Québec prévoit que la reconnaissance de dette interrompt la prescription. Encore faut-il que cette reconnaissance de dette soit claire et sans équivoque comme l’indique le juge Michel A. Pinsonnault de la Cour du Québec dans Paska c. Geri (2006 QCCQ 9195).


Dans cette affaire, le Demandeur réclame du Défendeur le remboursement d’un prêt qui aurait été fait en octobre 2000. Le Défendeur nie l’existence de ce prêt et allègue subsidiairement que le recours du Demandeur est prescrit. Quant au deuxième argument, le Demandeur fait valoir que le Défendeur a reconnu l’existence de la dette, de sorte que la prescription aurait été interrompue.

Afin de prouver sa prétention, le Demandeur fait entendre nombre de témoins qui indiquent, pour certains, que le Défendeur n’a pas nié devoir le montant d’argent au Demandeur et, pour d’autres, qu’il admettait sa dette mais faisait valoir qu’il n’avait pas à la payer en raison de la compensation avec d’autres montants.

L’Honorable juge Michel A. Pinsonnault en vient à conclusion que la preuve n’est pas suffisante pour conclure à une reconnaissance de dette. À cet effet, il rappelle que la reconnaissance de dette doit être claire et sans équivoque et que c’est le Demandeur qui porte le fardeau de l’établir :
[31] On that issue, the Court agrees with the comments and findings of the Honourable Marie-Andrée Villeneuve in the matter of Massé vs. Construction M.P.F. Inc. who wrote :
[29] Les dispositions législatives pertinentes se lisent comme suit :
" Art. 2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans. "

"Art. 2898. La reconnaissance d'un droit, de même que la renonciation au bénéfice du temps écoulé, interrompt la prescription."
[30] L'action en dommages a été intentée plus de 3 ans après la découverte que la défenderesse n'avait pas exécuté ses travaux conformément au Code national du bâtiment. Cependant, y a-t-il eu interruption de la prescription? La défenderesse a-t-elle reconnu sa dette envers les demandeurs ou reconnu le droit des demandeurs à l'indemnisation?

[31] L'article 2898 C.c.Q. reprend l'article 2227 C.c.B.C. qui a fait l'objet de commentaires d'auteurs dont le professeur Pierre Martineau qui souligne que la reconnaissance d'un droit peut-être expresse ou tacite. Il écrit ceci:
"315. La reconnaissance peut aussi se produire en dehors de toute convention et prendre alors diverses formes. Il suffit qu'apparaisse de façon claire et précise la volonté du débiteur de reconnaître l'existence du droit du créancier. Ainsi une lettre dans laquelle une personne admet sa responsabilité et promet ou offre de payer opère interruption."

"316. Il y a reconnaissance tacite lorsque le débiteur pose un acte qui manifeste hors de tout doute la volonté d'avouer l'existence de la dette en voie de prescription. C'est à la lumière des circonstances propres à chaque espèce que les tribunaux déterminent si le comportement du débiteur doit être considéré comme impliquant une reconnaissance interruptive de prescription."
[32] Dans la cause Richer c. Gironne, M. le juge Luc Grammond écrit :
"Dans l'arrêt Deschamps c. Banque de Nouvelle-Écosse, la Cour d'appel a posé le principe que la reconnaissance de la dette doit être claire et sans équivoque et ajoute que même si le débiteur n'a pas voulu interrompre la prescription, la prescription sera quand même interrompue si la reconnaissance du droit est claire et non équivoque."
[33] Comme l'a souligné la défenderesse, ce sont les demandeurs qui ont le fardeau de preuve quant à l'interruption de la prescription. Or, le Tribunal ne peut conclure que les demandeurs se sont déchargés de leur fardeau de preuve. Le représentant de la défenderesse a reconnu que la membrane comportait un seul pli ajoutant qu'il ne pouvait contredire le rapport d'expert (qui en recommandait deux). Il ne faisait que constater les conclusions d'un expert par rapport aux travaux du sous-traitant à qui il s'en était remis.

[34] Ces paroles ne sauraient constituer une reconnaissance de dette claire et non équivoque d'autant plus que le représentant de la défenderesse a mentionné au demandeur qu'il transmettrait sa réclamation à son assureur, un tiers sur lequel il n'a aucun contrôle. Il ne s'est pas engagé à payer les demandeurs dans l'éventualité où l'assureur ne paierait pas.

[35] Comme le souligne le professeur Martineau, il faut que l'aveu du débiteur apparaisse de façon non équivoque, ce qui n'existe pas, de l'avis du Tribunal, dans le cas soumis.

[36] Le Tribunal peut comprendre que subjectivement, les demandeurs pouvaient penser que les paroles du représentant de la défenderesse représentaient une reconnaissance de leur droit à l'indemnisation mais pour évaluer la preuve, le Tribunal doit le faire d'un point de vue objectif. Ce faisant et pour les motifs ci-dessus exprimés, le Tribunal conclut qu'il n'y a pas eu d'interruption de prescription et que l'action est prescrite en regard de la base juridique initiale.
[32] In the present instance, the testimonies of the above-mentioned witnesses are too vague and imprecise as to the true nature of Geri’s statements and their connection, if any, with the Loan. Moreover, in most instances, the date of Geri’s statements is not even known.

[33] The Court must therefore conclude that the present proceedings were instituted when the Loan was prescribed as Paska failed to prove in a preponderant manner that prescription had been duly interrupted in due time.
Commentaire :

Cette décision s’inscrit dans une longue lignée de jugements où les tribunaux, avec raison selon le soussigné, exigent une preuve claire et sans équivoque de la reconnaissance de dette pour conclure à l’interruption de la prescription. Il faudra trouver dans la preuve une déclaration claire de la partie défenderesse à l’effet qu’elle est endettée envers la partie demanderesse et non pas seulement une absence de négation, une promesse d’analyser la situation ou une promesse de soumettre la réclamation à une tierce partie. À cet égard, nous invitons le lecteur à consulter les jugements dont la liste apparaît au bas de la page.

Référence : [2010] ABD 204

Autres décisions citées dans le présent billet :

1. Massé c. Construction M.P.F. Inc., J.E. 2004-1271 (C.Q).
2. Laporte c. Prud’homme, J.E. 2003-2148 (C.S.).
3. Deschamps c. Banque de la Nouvelle-Écosse, [1989] R.D.J. 456 (C.A.).
4. Taillefer c. Les Services immobiliers Syst-M.A. Real inc., [1991] R.J.Q. 1708 (C.S.).
5. Artisans (Les), Société coopérative d’assurance-vie c. Madore, J.E. 85-1055 (C.A.).

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