lundi 20 décembre 2010

Ne sont pas pertinentes à une procédure civile les allégations du dépôt d'accusations criminelles

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l/s.r.l.

Nous discutions récemment de la force probante dans le contexte civil d'une condamnation criminelle. Si une condamnation criminelle est sans nul doute pertinente, en est-il de même du simple dépôt d'accusations criminelles? C'est là une des questions qui faisait l'objet de discussion dans Couture c. Basque (2010 QCCS 3110).


Il s'agit d'une affaire dont les faits sortent de l'ordinaire. La Demanderesse poursuit le Défendeur pour la somme de 1.5 million de dollars qui représenterait le solde lui revenant sur sa part d'un gain à la loterie de 5 millions de dollars le 7 janvier 2007. La Demanderesse prétend que les parties étaient copropriétaires du billet de loterie et qu'elle aurait dû ainsi recevoir 2.5 millions de dollars. Comme elle n'a reçu qu'un million de dollars, elle réclame le solde de 1.5 million. Le Défendeur nie devoir quoi que ce soit à la Demanderesse. Il plaide qu'effectivement le billet a été acheté par la Demanderesse, qu'elle lui a donné en cadeau de Noël et celui-ci lui aurait indiqué que s’il gagnait le gros lot, il lui remettrait 1 million de dollars, ce qu’il a fait, de sorte qu'il ne lui doit plus rien.
Dans sa défense, le Défendeur fait état de certaines accusations criminelles qui ont été déposées à l'encontre de la Demanderesse. Il justifie la présence de ces allégations par la nécessité de traiter de sa crédibilité. En revanche, cette dernière demande la radiation des allégations, elle qui les considère non pertinentes.

L'Honorable juge Jacques Babin en vient à la conclusion que les allégations doivent être radiées. En effet, il rappelle le principe voulant que toute personne soit présumée innocente en matière criminelle et fait état de la jurisprudence sur des demandes de radiation semblables qui concluent à la non pertinence de telles allégations:
[10] Conformément à la Charte des droits et libertés de la personne, particulièrement l'article 33, la demanderesse est présumée innocente jusqu'à ce que les accusations contre elle aient été retenues, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Son procès est prévu en septembre 2010.
[11] Plusieurs décisions des tribunaux ont affirmé que l'allégation dans les procédures civiles de plaintes criminelles déposées contre l'une ou l'autre des parties n'était pas pertinente.
[12] Comme l'indiquait le juge Richard Landry dans la première de ces décisions:
[16] Si l'on formule autant de réserves sur la pertinence de jugements et de décisions rendus par des cours de justice ou des tribunaux administratifs dans une instance civile, à plus forte raison faut-il à mon avis être très sévère à l'égard d'accusations qui n'ont pas encore fait l'objet d'une appréciation judiciaire.
[17] Alléguer l'existence de telles accusations "teinte" un dossier mais ne permet aucunement d'établir les faits générateurs du droit réclamé.
[18] À l'inverse, de telles allégations portent préjudice aux accusées qui, jusqu'à ce qu'elles soient jugées, jouissent de la présomption d'innocence (article 6 (1) du Code criminel), du droit à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation (article 4 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne) et du droit à une audition impartiale devant un tribunal indépendant et non préjugé dans la détermination de leurs droits et obligations (article 23 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne).
[…]
[20] C'est pourquoi les tribunaux n'hésitent pas à radier d'une procédure civile des allégations de cette nature qui n'apportent rien et présument du sort qui sera réservé aux accusations déposées.
[13] De plus, que la demanderesse ait effectivement pris l'identité d'une autre personne, lorsqu'elle a été interceptée par un policier pour une infraction du Code la route, n'est absolument pas pertinent dans le litige qui oppose les parties.
[14] Comme l'indiquait la Cour d'appel en 1990:
Le fait est pertinent lorsqu'il s'agit du fait en litige, lorsqu'il contribue à prouver d'une façon rationnelle un fait en litige ou lorsqu'il a pour but d'aider le Tribunal à apprécier la force probante d'un témoignage.
[15] Le fait que la demanderesse ait été interrogée hors Cour et donné de drôles d'explications aux plaintes criminelles portées contre elle ne change rien à ce qui précède. 
[16] Si contradiction il y a dans son témoignage, le procureur du défendeur pourra s'en servir au procès, mais ça ne justifie pas les allégations contestées
Référence : [2010] ABD 202

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