vendredi 17 décembre 2010

Les anciens administrateurs d'une compagnie maintenant dissoute ne peuvent être tenus responsables que des dettes existantes et certaines au moment de la dissolution

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

L'article 29 de la Loi sur les compagnies prévoit la responsabilité potentielle des anciens administrateurs d'une personne morale pour les dettes existantes de la compagnie au moment de sa dissolution. La problématique principale est de définir ce qu'on entend par "dettes existantes". L'affaire Cardin c. Provigo Québec inc. (2010 QCCS 1767) traite de cette question.


La Demanderesse avance avoir subi d'importantes blessures en raison d'une chute survenue le 29 septembre 2006 alors qu'elle quittait en fauteuil roulant le commerce d'alimentation exploité par la Défenderesse. Elle réclame de la Défenderesse, ainsi que la propriétaire du centre d'achats au moment où est survenu l'accident, plus de 270 000 $ en dommages pécuniaires et non-pécuniaires. Puisque la compagnie propriétaire a été  dissoute en vertu de la Loi sur les compagnies, la Demanderesse poursuit également son actionnaire majoritaire, de même que trois (3) de ses administrateurs, au motif qu'ils n'ont pas divulgué au registraire des entreprises leurs « obligations » envers elle et que la compagnie a ainsi été dissoute sans qu'elle ait pu s'y opposer. Ces derniers présentent une requête en irrecevabilité. La question centrale est celle de savoir si la réclamation de la Demanderesse est une dette de la compagnie existante lors de la dissolution.

L'Honorable juge Catherine Mandeville pose d'abord certains principes relatifs aux obligations des administrateurs d'une compagnie dissoute:
[21] Puisque le législateur a choisi de ne prévoir la responsabilité des administrateurs qu'à l'égard des « dettes » non-déclarées de la compagnie alors qu'il exige de la compagnie qu'elle déclare ses « dettes et obligations », le Tribunal retient qu'il a manifesté son intention de limiter la responsabilité des administrateurs aux obligations qui portent sur une somme d'argent.
[22] De façon pratique, les administrateurs pourraient difficilement être forcés d'exécuter, une fois que la compagnie a cessé ses activités et s'est départie de ses biens, des obligations qui requièrent pour être satisfaites une prestation qui n'est pas compensable en argent.
[23] Cependant, rien ne permet à notre avis d'inférer que la « dette existante » se doit d'être échue ou exigible ou même connue des administrateurs au moment de la dissolution.
[24] Comme je l'ai expliqué plus haut, si le créancier devait rechercher la responsabilité de l'administrateur pour une dette qui n'aurait pas été déclarée parce qu'inconnue de lui, il lui sera loisible, une fois poursuivi, de faire rejeter ce recours en établissant sa bonne foi. C'est le mécanisme qu'a prévu spécifiquement le législateur pour cette situation.
[25] La seule qualité requise par le législateur pour que la « dette » puisse devenir source de responsabilité des administrateurs est qu'elle soit « existante ».
Analysant le cadre législatif, la juge Mandeville en vient à la conclusion que pour être "existante", la dette n'a pas à être échue ou exigible au moment de la dissolution, mais encore faut-il que cette dette soit certaine:
[26] Si la « dette » n'est pas échue ou exigible au moment de la dissolution, il n'en demeure pas moins qu'elle existe puisque, comme l'explique la Cour d'appel dans l'arrêt Senza précité:
[91] Il ressort de toute cela que, dans le langage courant autant que dans le langage juridique (qu'il soit de droit civil ou de common law), la « dette », qu'elle ait le sens d'« obligation » ou celui, plus restreint, d'« obligation de payer », n'est pas définie par son exigibilité : on peut être le débiteur d'une dette non encore exigible, c'est-à-dire d'une dette qui n'est pas due actuellement ou immédiatement.
En effet, comme le souligne le juge de première instance, une dette peut exister même si son exécution ne doit se faire qu'à une date future : la dette assortie d'un terme dit suspensif existe dans le temps présent, encore que son exécution soit fixée à plus tard. En ce sens, il ne faut pas confondre l'existence d'une dette avec son exécution; il ne faut pas non plus confondre la dette sous condition suspensive et la dette assortie d'un terme suspensif.
[27] Le Tribunal estime cependant que si la dette est non certaine, elle ne saurait être considérée « existante ». Elle devient alors susceptible de naître dans le futur mais n'a pas d'existence propre avant que l'évènement qui lui donnera peut-être naissance soit survenu.
Puisqu'au moment de la dissolution, il n'existait pas de dette certaine envers la Demanderesse, les administrateurs ne sauraient être tenus responsables en l'instance. Pour cette raison, la Cour accueille la requête en irrecevabilité.

Référence: [2010] ABD 200

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