jeudi 16 décembre 2010

Choix du bon district judiciaire: L'article 68(2) C.p.c. ne s'applique pas aux recours contractuels

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

En matière d'action purement personnelle, l'article 68 C.p.c. prévoit que le recours doit être intenté dans le district du domicile du défendeur. La partie demanderesse qui désire intenter son recours dans un autre district judiciaire doit alléguer et démontrer les faits qui justifient l'application de l'une des exceptions à ce principe. Or, la Cour supérieure, dans 9142-9258 Québec Inc. c. 4258606 Canada Inc. (2010 QCCS 1711), nous rappelle que l'exception prévue au paragraphe 2 de l'article 68 (lieu de naissance de toute la cause d'action) ne s'applique pas en matière contractuelle.


La Demanderesse intente des procédures civiles en injonction et en dommages contre la Défenderesse, alléguant contravention à une clause d'exclusivité d'exploitation contenue dans le bail commercial entre les parties. La Défenderesse requiert le renvoi du dossier dans le district de Montréal, où est situé son siège social. La Demanderesse conteste cette demande, faisant valoir que toute la cause action a pris naissance dans le district de Trois-Rivières où est situé le restaurant et le centre commercial qui sont en cause.

La question est donc de savoir si l'article 68(2) C.p.c. s'applique aux recours contractuels. L'Honorable juge Étienne Parent est d'avis que la réponse est non. Pour se faire, il se base sur la doctrine pertinente:
[15] Les auteurs Baudouin et Jobin soulignent huit différences entre les régimes de responsabilité contractuelle et extracontractuelle, dont la suivante :
En septième lieu, nous évoquerons, sans entrer dans les détails, les différences de compétence des tribunaux et de conflit de lois. En règle générale, pour un contrat, le tribunal compétent est celui du lieu de formation, alors qu'en responsabilité extracontractuelle c'est plutôt celui du lieu où toute la cause d'action a pris naissance, bien que celui du domicile du défendeur ait toujours compétence.
[16] Les auteurs Ferland et Émery partagent cette analyse :
Cette règle [68(3) C.p.c.] régit les recours contractuels, alors que la règle de l'article 68 (2) C.p.c. régit les recours extracontractuels.
Le demandeur peut choisir ce lieu d'introduction de son action, «nonobstant convention contraire». Ce lieu d'introduction de l'action ayant un fondement contractuel doit correspondre au lieu de conclusion du contrat, en un lieu précis ou à distance, et non au lieu d'inexécution ou de mauvaise exécution du contrat, car l'obligation dont l'action recherche l'exécution ou la sanction en cas d'inexécution est née dès la conclusion du contrat.
La validité du contrat n'a pas à ce stade à être présumée aux fins du débat judiciaire sur un moyen déclinatoire, lorsque la preuve entendue ne permet pas de présumer d'une telle validité.
La «cause d'action» se confond ici avec le contrat lui-même que le demandeur invoque comme fondement de son action.
[17] Les auteurs du traité La Responsabilité civile adoptent la même interprétation :
Enfin, en droit judiciaire privé, le district judiciaire d'introduction de l'action varie selon la qualification du lien d'obligation. S'il s'agit d'un lien contractuel, le tribunal compétent est, sauf disposition contraire, celui du lieu où le contrat a été conclu. S'il s'agit d'un lien extracontractuel, c'est, au contraire, le tribunal du lieu où toute la cause d'action a pris naissance qui doit entendre la demande en justice.
[18] Finalement, le professeur Belleau abonde dans le même sens :
Les actions personnelles en matière contractuelle peuvent donc être déposées au lieu de conclusion du contrat (art.68(3) C.p.c.). Il s'agit donc ici des cas d'actions où le litige tire sa source d'un contrat.[…] En matière contractuelle, le lieu de l'inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat n'est pas attributif de compétence territoriale.
L'action personnelle peut également être déposée dans le district du lieu où toute la cause d'action a pris naissance ( art.68(2) C.p.c.). Cette disposition englobe les litiges qui ont une source extracontractuelle. Il peut s'agir par exemple d'une action en dommages-intérêts fondée sur la responsabilité extracontractuelle (art. 1457, 1590(3) et 1607 C.c.Q.). À ce sujet, il faut noter qu'une personne assujettie au régime de responsabilité contractuelle ne peut, en vertu de l'article 1458 C.c.Q., se soustraire à l'application de ce régime pour opter en faveur de règles qui lui seraient plus profitables. Il s'agit, par exemple, d'éviter qu'une partie à un contrat invoque le fait que l'inexécution d'un contrat par la partie adverse a eu lieu ailleurs qu'à l'endroit où ce contrat a été conclu pour justifier le dépôt de son action, fondée sur cette inexécution, dans un district autre que celui du domicile réel du défendeur ou celui du lieu de conclusion du contrat.
Or, puisque le recours entrepris est contractuel, l'action de la Demanderesse ne pouvait être déposée que dans le district où la Défenderesse est domiciliée ou celui où le contrat est intervenu. Dans les deux cas, ce district est celui de Montréal. Selon le juge Parent, la contestation potentielle par la Défenderesse de la validité du contrat n'est pas pertinente à la question du district judiciaire approprié:
[19] En l'espèce, la demanderesse reconnaît que le fondement de son recours est contractuel. Elle plaide l’inexécution fautive du contrat survenue dans le district de Trois-Rivières. Comme le soulignent les auteurs, seul le lieu de conclusion du contrat pourrait donner ouverture au dépôt de la demande dans un district autre que celui du domicile de la défenderesse.
[20] Or, comme déjà mentionné, le Bail est intervenu dans le district du domicile de la défenderesse. Du coup, la demanderesse ne pouvait introduire son recours que dans ce district.
[21] La contestation éventuelle par la défenderesse de la validité du bail allégué par la demanderesse ne modifie en rien cette conclusion. Le Tribunal n'a pas à trancher cette question au stade actuel. Il suffit de constater que le recours de la demanderesse est contractuel pour conclure que la demanderesse n'a pas fait la démonstration de l'application d'une exception à la règle générale du lieu d'introduction d'une action.
[22] Il y a lieu en conséquence d'ordonner le renvoi du dossier et des parties devant la Cour supérieure, district de Montréal.
Le tribunal ordonne donc le renvoi du litige au district de Montréal.

Référence: [2010] ABD 199

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