jeudi 16 décembre 2010

La force probante du verdict de culpabilité criminel en droit civil

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Quelle est la force probante d'un aveu de culpabilité en droit criminel dans le cadre d'un procès civil? C'est une des questions centrales qui se posait dans l'affaire Banque Royale du Canada c. M.S. (2010 QCCS 1460) et dont l'Honorable juge Pierre Ouellet devait disposer.

La Demanderesse réclame du Défendeur le remboursement de la somme de 345 388,50 $ en alléguant avoir été victime d'une opération de clonage de cartes de débit. Ce dernier avait préalablement plaidé coupable à deux chefs d'infraction criminels pour avoir frustré la Demanderesse par supercherie, mensonge ou autre moyen d'une somme de plus de 5 000 $ (art. 380 (1a) C.cr) et pour avoir comploté pour commettre une fraude à l'encontre de la même institution (art. 465 (1c) C.cr ). Il est condamné sur-le-champ à une peine d'emprisonnement de trois ans.

Le juge Ouellet se penche sur la recevabilité en preuve et la force probante de ce plaidoyer de culpabilité. Il note qu'un tel plaidoyer est admissible en preuve dans un procès civil qui concerne les mêmes faits et qu'il est considéré être un aveu extrajudiciaire puisqu'il est fait dans une autre instance. Il rappelle également les enseignements de la Cour d'appel en la matière:
[33] La Cour d'appel, dans l'affaire Ali où il y avait eu condamnation après procès devant la Cour criminelle, a fait une étude intéressante de l'état du droit à ce sujet:
«L'introduction en preuve d'un verdict de culpabilité peut, selon les circonstances, permettre au juge civil de tirer les conclusions qui s'imposent relativement au fait que l'acte reproché a bel et bien été commis. Devant, comme dans le présent cas, un jugement pénal motivé établissant que les Ali ont volontairement mis le feu à leur édifice pour toucher l'assurance, il me semble difficile, en l'absence d'éléments de preuve nouveaux, que le juge civil, ignorant complètement ce fait, réévalue la preuve, par ailleurs, strictement identique, pour en arriver à une solution clairement contradictoire. Je vois mal, en effet, comment un juge civil, devant qui la fraude ne doit être prouvée que par simple prépondérance de preuve, peut conclure que deux personnes trouvées coupables d'incendie volontaire à la suite d'un procès où leur culpabilité doit être prouvée au-delà du doute raisonnable puisse, pour ainsi dire, «rejuger» à l'aide d'une preuve identique et qu'on arrive ainsi à deux décisions contradictoires. Les Ali sont des criminels qui ont volontairement mis le feu parce qu'ils voulaient frauder leur compagnie d'assurance, mais finalement ils n'ont pas mis le feu volontairement pour les fins du paiement de l'assurance; voilà le résultat!
Certes, il existe certaines hypothèses où l'accusé, même innocent, peut plaider coupable, notamment pour s'éviter les frais d'un procès. Dans ce cas, le juge civil peut, bien évidemment, et sans contradiction, remettre ce plaidoyer de culpabilité dans son contexte et en tirer les conséquences qui s'imposent.
Le jugement pénal est un fait juridique que nul ne peut ignorer, qui est pertinent et qui peut s'imposer quant à sa valeur probante. Le juge civil donc, sans attribuer à la condamnation pénale l'autorité de chose jugée en droit ou en fait, est libre, selon les circonstances, d'en tirer les conclusions et les présomptions de fait appropriées.»
Puisque le Défendeur en l'instance n'a pas fait quelque preuve qui puisse justifier la mise de côté de cet aveu, le juge Ouellet en vient à la conclusion que le Défendeur est bel et bien responsable civilement:
[34] Comme nous l'avons souligné auparavant, M. S..., lors de l'administration de sa preuve, n'a aucunement établi des faits qui permettraient de mettre de côté cet aveu extrajudiciaire.
[35] Il y a donc lieu d'en tenir compte comme étant un élément important parmi tous les faits mis en preuve par la Banque de façon à pouvoir conclure comme le prétend la Banque que la preuve de la responsabilité du défendeur a été faite au moyen de cet aveu ainsi que par des présomptions graves, précises et concordantes (art. 2849 C.c.Q.).
Référence : [2010] ABD 198

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