vendredi 10 décembre 2010

Expertises contradictoires: la Cour préfère le rapport qui est basé sur une prémisse neutre

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Il est souvent difficile pour un juge de trancher en faveur de la thèse d'une partie lorsque confronté à des rapports d'expert qui en arrivent à des conclusions diamétralement opposées. C'est pourquoi il est particulièrement important de s'assurer que l'expertise qui est présentée à la Cour n'est pas entâchée de quelque partie pris que ce soit. L'affaire Industrielle Alliance, Assurances et services financiers inc. c. Gouveia (2010 QCCS 6031) illustre bien ce propos.


Dans cette affaire,  deux experts ont analysé la signature à un acte de prêt afin de déterminer s'il s'agit de celle de Maria Gouveia. Le premier expert a conclu qu'il existe une « très forte probabilité, voisine de la certitude » que la signataire de l'acte de prêt n'est pas Maria Gouveia. Elle a comparé la signature de l'acte de prêt à six échantillons de signature reconnus comme provenant de la main de Maria Gouveia. Le deuxième expert conclut plutôt qu'il existe certaines similitudes dans les signatures et il n'observe pas de différences significatives qui lui permettraient d'écarter Maria Gouveia en tant que signataire. Il ajoute qu'il n'a pas eu accès à un nombre d'échantillons suffisant, ce qui limite le degré de certitude de sa conclusion.

L'Honorable juge Catherine Mandeville retient l'opinion du premier expert. Non seulement est-ce que le deuxième expert n'a pas eu accès à assez d'échantillons, mais la prémisse de son rapport n'était pas neutre. En effet, celui-ci a présumé que la signature était authentique et a ensuite cherché des indices qui indiqueraient le contraire. Pour la juge Mandeville, il s'agit là d'un élément qui affecte sa force probante:
[56] Le Tribunal préfère l'opinion de Mme Fournier.
[57] M.Ghirotto a utilisé une approche aprioriste qui biaise d'emblée son opinion. Il sait que le fardeau de démontrer le faux appartient à celui qui le plaide. Il a donc présumé que le signataire du document est Mme Gouveia et recherché des différences avec les autres signatures, qui lui permettraient d'écarter qu'il s'agit de la même personne.
[58] N'ayant pas un nombre d'échantillons suffisant et puisqu'il ne peut éliminer que les variations observées soient de celles qu'on retrouve naturellement chez tout scripteur, il conclut que Maria Gouveia est la signataire. Or, il ne lui appartient pas d'appliquer le fardeau de la preuve à son exercice. Il se devait d'évaluer tant les différences que les similitudes entre les signatures et de déterminer ensuite s'il était vraisemblable de conclure à un seul ou à deux signataires.
[59] C'est ce que Mme Fournier a fait. Elle admet qu'elle aurait préféré avoir un nombre d'échantillons plus élevé mais affirme avoir été en mesure de conclure avec le matériel soumis qu'il s'agissait de deux scripteurs, après avoir relevé les similitudes et les différences dans les échantillons et la signature de l'acte.
[60] Elle a expliqué et documenté sa méthode d'analyse et ses observations de façon logique et convaincante. Elle a reconnu que certaines différences observées pouvaient s'expliquer par les variations naturelles de l'écriture mais a précisé que ce n'était pas le nombre de variations mais la qualité des différences et similitudes observées qui lui faisait conclure comme elle l'a fait.
Référence: [2010] ABD 191

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