mardi 16 novembre 2010

Une clause accessible en cliquant sur un hyperlien n’est pas n’est pas nécessairement une clause externe

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Résumé rétro ce matin sur À bon droit alors que nous discutons d’un aspect particulier de la décision de la Cour suprême du Canada en matière de commerce électronique dans le cadre de l’affaire Union des Consommateurs c. Dell Computer Corporation (2007 CSC 34). On parle souvent de celle-ci dans un contexte d’arbitrage (avec raison), mais les enseignements de la Cour quant au caractère externe d’une clause sont beaucoup moins souvent cités. En effet, dans son jugement, la Cour en vient à la conclusion qu’un contrat ou une clause qui n’est accessible qu’en cliquant sur un hyperlien ne constitue pas nécessairement une clause externe au sens du Code civil du Québec.


Résumé rapide des faits

Dell Computer Corporation (« Dell ») vend du matériel informatique sur son site web. Le 4 avril 2003, les pages de commande de son site indiquent le prix de 89 $ au lieu de 379 $ et le prix de 118 $ au lieu de 549 $ pour deux modèles d’ordinateur de poche. Le 5 avril, Dell est informée des erreurs et bloque l’accès aux pages de commande erronées par l’adresse usuelle. Contournant les mesures prises par Dell en empruntant un lien profond qui lui permet d’accéder aux pages de commande sans passer par la voie usuelle, Olivier DuMoulin commande un ordinateur au prix inférieur indiqué. Dell publie ensuite un avis de correction de prix et annonce simultanément son refus de donner suite aux commandes d’ordinateurs aux prix de 89 $ et 118 $. Devant le refus de Dell d’honorer les commandes au prix inférieur, l’Union des consommateurs dépose une requête en autorisation d’exercer un recours collectif contre Dell.

Le contrat électronique pour l’achat de matériel informatique sur le site web de Dell contient une clause d’arbitrage. Par ailleurs, ce contrat, ainsi que toutes les conditions de vente à l’exception du prix, n’est accessible qu’en cliquant sur un hyperlien qui se trouve au bas de la page. Ainsi, il est possible d’effectuer des achats sur le site sans jamais voir le contrat électronique.

Dell demande le renvoi de la demande de DuMoulin à l’arbitrage en vertu de la clause d’arbitrage faisant partie des conditions de vente et le rejet de la requête en recours collectif. La Cour supérieure et la Cour d’appel concluent, pour des motifs différents, que la clause d’arbitrage est inopposable à DuMoulin. Pour les fins du présent résumé, seule la conclusion de la Cour d’appel à l’effet que la clause d’arbitrage est inopposable à DuMoulin parce qu’il s’agit d’une clause externe est analysée.

Décision rendue par la Cour suprême

La Cour d’appel en était venue à la conclusion que la clause d’arbitrage était externe parce que pour y avoir accès, l’acheteur se devait de cliquer sur un hyperlien au bas de la page qui renvoyait aux conditions de vente et au contrat électronique.

La Cour suprême renverse cette décision. Selon elle, ce serait faire abstraction de la réalité du commerce électronique que de systématiquement considérer le texte ou les clauses accessibles par hyperlien comme étant externes au sens de l’article 1435 C.c.Q. :
97 Une page Internet peut comporter une multitude de liens, chacun conduisant à son tour à une nouvelle page Internet susceptible d’en comporter elle aussi une multitude, et ainsi de suite. À l’évidence, l’on ne saurait prétendre que toutes ces différentes pages reliées entre elles constituent un seul document, voire que l’ensemble du Web défilant devant l’écran de l’internaute n’est qu’un seul et même document. Par ailleurs, il est difficile d’admettre qu’une seule commande de la part de l’internaute suffise pour conclure à l’application de la disposition régissant les clauses externes. Une telle interprétation serait détachée de la réalité de l’environnement Internet, où l’on ne fait pas de distinction concrète entre le déroulement du document et l’utilisation d’un hyperlien. À l’image des documents papier, certains textes Web comportent plusieurs pages, accessibles seulement au moyen d’un hyperlien, alors que d’autres documents peuvent être déroulés sur l’écran de l’ordinateur. Il n’y a pas de raison de privilégier une configuration plutôt qu’une autre. La détermination du caractère externe des clauses sur Internet requiert donc de prendre en considération une autre règle qui, si elle n’est pas explicitement mentionnée à l’art. 1435 C.c.Q., y est néanmoins implicite.
C’est pourquoi tant les six juges formant la majorité que les trois juges dissidents (sur une autre question), concluent que l’information accessible par hyperlien ne constitue pas une clause externe au sens du Code civil du Québec si elle est facile d’accès et que l’hyperlien est clairement visible à l’acheteur. En l’instance, l’hyperlien étant clairement visible, apparaissant en surbrillance et étant reproduit à chaque page, la Cour conclut qu’elle n’a pas affaire à une clause externe :
100 […] Ce lien est reproduit à chaque page à laquelle le consommateur accède. Dès que le consommateur active le lien, la page contenant les conditions de vente, dont la clause d’arbitrage, apparaît sur son écran. En ce sens, cette clause n’est pas plus difficile d’accès pour le consommateur que si on lui avait remis une copie papier de l’ensemble du contrat comportant des conditions de vente inscrites à l’endos de la première page du document.

101 À mon avis, l’accès du consommateur à la clause d’arbitrage n’est pas entravé par la configuration de cette clause dont il peut lire le texte en cliquant une seule fois sur l’hyperlien menant aux conditions de vente. La clause d’arbitrage ne constitue donc pas une clause externe au sens du Code civil du Québec.
Cette décision semble clarifier un point de droit qui suscitait la controverse au Québec (voir la décision de la Cour du Québec dans Aspencer1.com Inc. c. Paysystems Corporation, 2005 CanLII 6494).

Référence : [2010] ABD 159

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