mardi 2 novembre 2010

La Cour d'appel rappelle que la requête en jugement déclaratoire n'est pas le remède approprié lorsqu'il existe un recours spécifique

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Les dernières années ont donné lieu à une exclosion exponentielle des requêtes pour jugement déclaratoire. Autrefois  un moyen procédural d'exception, les tribunaux québécois lui accordent aujourd'hui une interprétation large et libérale qui en permet le plein accomplissement. Reste par ailleurs certaines limites à l'utilisation de ce véhicule comme le démontre le jugement récent de la Cour d'appel dans Domtar inc. c. Produits Kruger ltée (2010 QCCA 1934).


Dans cette affaire, l'appelante dépose une requête pour jugement déclaratoire pour faire déterminer certains de ses droits et obligations en vertu de la Loi sur la régie de l'énergie. Les Intimées contestent la juridiction de la Cour supérieure en la matière et plaident que la question relève du ressort de la Régie. Le juge de première instance leur donne raison et accueille leur exception déclinatoire.

Saisie de la question, la Cour d'appel indique que le jugement déclaratoire ne doit jamais servir à éviter la juridiction d'un tribunal administratif compétent:
[23] De façon générale, il est vrai que les tribunaux administratifs et autres entités administratives investies d'une fonction juridictionnelle ne peuvent prononcer de décisions purement déclaratoires, ce qui ressortit de la compétence ordinaire de la Cour supérieure selon l’arrêt de la Cour dans Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Industrielle-Alliance (L'), compagnie d'assurance sur la vie.
[24] Néanmoins, il est vrai également que ces organismes peuvent déclarer le droit accessoirement à la mission juridictionnelle que leur confie le législateur.
[25] Il est vrai enfin qu'un justiciable ne peut, par le truchement de l'article 453 C.p.c., faire statuer sur une question qui pourrait tout aussi efficacement être réglée par le moyen du recours précis que le législateur aurait créé en vue de la trancher. Plus précisément, la requête pour jugement déclaratoire ne peut être employée pour contourner, éviter ou neutraliser le recours que le législateur a institué spécialement afin de régler la question litigieuse et qu'il a confié à une instance autre que la Cour supérieure.

[26] En pareil cas, cette dernière, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, doit en principe refuser de statuer sur la requête pour jugement déclaratoire. C'est ainsi que dans Terrasses Zarolega inc. c. R.I.O., la Cour suprême conclut que, « même à supposer qu'elle ait le pouvoir de le faire, la Cour [supérieure] ne devrait pas intervenir lorsque le législateur a jugé à propos de créer un tribunal inférieur compétent à disposer de la question sur laquelle on demande d'exercer le pouvoir déclaratoire ».

Ainsi, puisque la Régie de l'énergie avait juridiction pour entendre l'objet de la demande, la Cour supérieure a eu raison d'utiliser son pouvoir discrétionnaire et de refuser d'entendre la demande en jugement déclaratoire:
[44] Ce n'est par ailleurs pas parce que la Régie n'aurait pas le pouvoir de rendre des ordonnances de la nature d'une injonction ou d'attribuer des dommages-intérêts qu'elle devrait être privée de la compétence qu'elle peut exercer en vertu de l'article 31, premier alinéa, paragr. 5, L.R.é. La situation actuelle des parties, de toute façon, n'appelle pas ce genre de remède et l'on ne peut pas, en vue d'éviter le recours à la Régie, tirer argument de ce qui pourrait hypothétiquement survenir.
[45] Cela étant, la Cour supérieure a correctement conclu, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière déclaratoire, qu'il y avait lieu pour elle de décliner compétence, afin d'éviter que par sa requête introductive d'instance, l'appelante ne se trouve à contourner la compétence spécialisée de la Régie et à court-circuiter le recours découlant des dispositions ci-dessus.

[46] Il s'ensuit que l'appelante aurait dû se tourner vers la Régie de l'énergie afin de faire déterminer son assujettissement ou son non-assujettissement à l'article 76.1 L.R.é. et pour faire déterminer, le cas échéant, ses obligations en vertu de cette disposition. Les intimées peuvent de même — et elles ont d'ailleurs tout intérêt à le faire ici — s'adresser à la Régie pour régler à tous égards le contentieux qui les oppose à l'appelante.

Référence : [2010] ABD 142

Autres décisions citées dans ce billet:

1. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Industrielle-Alliance (L'), compagnie d'assurance sur la vie, J.E. 2001-183 (C.A.).
2. Terrasses Zarolega Inc. c. Régie des installations olympiques, 1981 CanLII 12 (C.S.C.).

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