jeudi 28 octobre 2010

Le fait de ne pas avoir accès à tous les documents pertinents pour la préparation d'un appel n'équivaut pas à une impossibilité d'agir

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Un délai d'appel c'est du sérieux. Pour y passer outre, il faut généralement démontrer l'impossibilité d'agir et la barre est particulièrement haute en la matière. C'est dans cette veine que le jugement rendu le 25 octobre dernier par la Cour d'appel dans Océania Inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu) (2010 QCCA 1901) indique que le fait de ne pas avoir accès à tous les documents pertinents à la préparation d'un appel n'équivaut pas à une impossibilité d'agir.


L'Appelante est une agence de placement spécialisée dans le domaine des soins de santé. Le 28 janvier 2008, l'Intimé transmet à l'Appelante trois avis de cotisation relativement à des retenues à la source qui n'auraient pas été faites en 2004, 2005 et 2006, et ce, pour un montant total de 301 911 $, plus les intérêts. L'Appelante fait opposition à ces trois avis de cotisation. Le 13 mai 2009, une agente de l'Intimée, dans une décision laconique qui ne contient essentiellement pas de motifs, rejette l'opposition. En vertu de la Loi sur le ministère du revenu, l'Appelante avait 90 jours pour en appeler de cette décision.

À plusieurs reprises, l'Appelante demande une copie complète de son dossier pour pouvoir prendre connaissance des motifs détaillés de la décision. Ce n'est que le 22 septembre 2009 que l'Appelante reçoit, par télécopieur, le mémoire sur opposition rédigé dans le cadre du traitement de son dossier par les autorités fiscales. L'Appelante demande alors d'autres documents, lesquels lui sont transmis les 14 et 23 octobre 2009. Suite à la réception de ces documents, elle produit une requête afin de proroger le délai pour interjeter appel des avis de cotisation du 28 janvier 2008, soutenant avoir été dans l'« impossibilité en fait d'agir » jusqu'au 23 octobre 2009, date où elle a reçu les derniers documents lui permettant de former un appel de manière intelligible. Elle plaide n'avoir pu faire plus que ce qu'elle a fait et ne pas avoir été négligente dans les circonstances puisqu'elle était incapable, jusqu'à tout récemment, d'exercer pleinement ses recours.

Cette requête en rejetée par la Cour du Québec et l'Appelante s'adresse à la Cour d'appel. L'Honorable juge Chamberland, au nom d'un banc unanime, mentionne d'abord que la question de savoir si un contribuable a été dans l'impossibilité en fait d'agir est une question de fait qui appelle à l'appréciation de l'impossibilité relative d'une personne d'agir:

[26] Il est acquis au débat que l'impossibilité en fait d'agir est une impossibilité relative, et non absolue; elle n'exige pas de celui qui l'invoque la démonstration d'un empêchement d'agir en raison d'un obstacle invincible et indépendant de sa volonté. Ainsi, l'erreur de l'avocat pourra constituer une telle impossibilité en fait d'agir dans la mesure où la partie elle-même aura agi avec diligence.
Le juge Chamberland indique ensuite que l'Appelante a raison de se plaindre du contenu laconique de la décision de l'intimé, mais qu'il n'en découle pas nécessairement qu'elle était dans l'impossibilité d'agir:
[28] L'appelante a raison de dire que l'exigence de motivation énoncée à l'article 8 LJA s'applique à l'intimé. Elle a aussi raison de dire que les motifs fournis par l'intimé doivent être appropriés, pertinents, intelligibles et suffisamment précis pour permettre au contribuable de comprendre la décision et d'évaluer la possibilité de recours ultérieurs. Elle a même raison de dire que la décision du 13 mai 2009, si l'on devait s'arrêter au seul libellé de celle-ci, était tout simplement trop laconique pour lui permettre de comprendre la raison du rejet de son opposition et d'évaluer la possibilité d'un appel.

[29] Le simple fait d'affirmer que « les cotisations ont été établies conformément aux dispositions de la loi », puis de référer en vrac à plusieurs articles de loi, dont certains font quelques pages, ne constitue pas ici, selon moi, la motivation requise de l'administration gouvernementale en cas de décision défavorable. On peut imaginer des cas où le simple fait de référer à un article de loi suffira, mais pas ici puisque les dispositions législatives auxquelles l'intimé réfère le contribuable sont neutres, elles n'expliquent en rien le sort réservé à la question soulevée par l'opposition, soit le statut du personnel infirmier.

[30] Mais, et c'est ce que le juge de première instance n'a pas manqué de relever, le raisonnement de l'appelante fait abstraction du fait que cette décision, la dernière en date, s'inscrit dans le contexte d'un long contentieux l'opposant à l'intimé. Le laconisme de la décision ne permet pas de conclure que l'appelante était pour autant dans l'impossibilité en fait d'agir. Il faut voir l'ensemble des circonstances et c'est ce que le juge a fait.
Selon le juge Chamberland, l'Appelante avait une connaissance suffisante du différend pour lui permettre d'interjeter appel, quitte à amender ses procédures en appels après avoir reçu les documents demandés. Il n'est pas nécessaire d'être dans une situation parfaite pour pouvoir déposer de telles procédures, de sorte que l'Appelante n'était pas véritablement dans une situation d'impossibilité d'agir. Qui plus est, si l'Appelante était d'avis qu'il lui était impossible de faire appel, elle aurait du demander la prolongation du délai avant son expiration:
[38] L'appelante s'est elle-même placée dans la situation qui l'a amenée à ne pas respecter le délai d'appel de 90 jours et par la suite, même après la réception du mémoire sur opposition, le 22 septembre 2009, dans la position de ne pas faire immédiatement sa demande de prorogation de délai, tel que le commande le troisième alinéa de l'article 93.1.13 LMR. Pour une raison qui m'échappe, l'appelante s'est retranchée derrière sa quête d'une copie de son dossier fiscal, et d'autres documents, pour laisser filer le délai d'appel. Pour reprendre les mots du juge Pratte dans Cité de Pont-Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516 , elle s'est en quelque sorte « elle-même placée par suite de son incurie coupable dans l'impossibilité en fait d'agir plus tôt » (paragr. 17).

[39] Le préjudice que l'appelante subit en raison du rejet de sa requête en prorogation de délai ne permet pas, à lui seul, de justifier une prorogation du délai d'appel lorsque, par ailleurs, les conditions énoncées à l'article 93.1.13 LMR ne sont pas remplies.
Voilà une leçon importante à garder à l'esprit, laquelle est applicable, entre autres situations, aux jugements rendus sur le banc, pour lesquels ont attend souvent quelques semaines avant de recevoir la transcription.

Référence: [2010] ABD 138

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