jeudi 7 octobre 2010

Clarification de la Cour d'appel quant aux jugements de la Cour du Québec qui sont susceptibles de révision judiciaire par la Cour supérieure

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Peut-on déposer en Cour supérieure une requête en révision judiciaire d'une décision de la Cour du Québec dont il est également possible d'en appeler? C'est précisément la question dont était saisi l'Honorable juge Pierre J. Dalphond de la Cour d'appel dans le cadre d'une demande de permission d'en appeler dans Mondesir c. Asprakis (2010 QCCA 1780).


Le Requérant en l'instance a été condamné par la Cour du Québec à payer un montant de 23 723,29$ aux Intimés. Bien qu'il est possible pour le Requérant de demander la permission d'en appeler de ce jugement, il décide plutôt de déposer devant la Cour supérieure une requête en révision judiciaire. Étant d'opinion qu'on ne peut demander la révision judiciaire d'une décision de la Cour du Québec dont il est possible d'en appeler (même si c'est sur permission), les Intimés déposent une requête en irrecevabilité, laquelle est accueillie par l'Honorable juge Louise Lemelin de la Cour supérieure. C'est de ce jugement que le Requérant demande la permission d'en appeler.

Le juge Dalphond rappelle d'abord que la Cour du Québec est, au sens constitutionnel, un tribunal inférieur qui est soumis au pouvoir de surveillance et contrôle de la Cour supérieure. Par ailleurs, il souligne que la règle de l'épuisement des recours implique nécessairement qu'on ne pourra demander la révision judiciaire d'un jugement qui est appelable de plein droit:
[4] Il est indéniable que la Cour du Québec constitue, au sens constitutionnel du mot, un tribunal inférieur soumis au pouvoir, inhérent et constitutionnellement protégé, de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure reconnu à l’art. 33 C.p.c.
[5] Si en principe tous les jugements de la Cour du Québec peuvent faire l’objet d’une révision judiciaire devant la Cour supérieure, il demeure que, selon le principe de l’épuisement des recours (Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561 ), la révision judiciaire ne sera pas un recours approprié lorsqu’il existe un droit d’appel, principe reconnu au 2e al. de l’art. 846 C.p.c. En effet, le plaideur doit plutôt se prévaloir de son droit d’appel, un recours plus large que la révision judiciaire, qui permet de corriger, si besoin est, le jugement attaqué. Une fois ce droit d’appel devant notre Cour épuisé, une partie ne peut par la suite présenter une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure puisque la décision attaquée aura été validée ou invalidée par une cour plus élevée qu'elle dans la hiérarchie judiciaire.
Ainsi, pour les jugements de la Cour du Québec dont la valeur en litige se situe entre 50 000$ et 70 000$ et qui sont appelables de plein droit, il ne pourra y avoir de révision judiciaire devant la Cour supérieure. Inversement, les jugements de la division des petites créances, pour lesquels il n'existe aucun droit d'appel, la révision judiciaire sera toujours possible. Reste donc deux catégories de jugements rendus par la Cour du Québec: (a) un jugement rendu en vertu d'une loi particulière et (b) les jugements rendus par la chambre civile où la valeur en litige est inférieure à 50 000$. Dans le premier cas, si la loi particulière prévoit un droit d'appel, la révision judiciaire ne sera pas possible.

Demeure alors seule la deuxième catégorie. La question qui se pose est celle de savoir s'il est nécessaire de demander la permission d'en appeler devant la Cour d'appel afin de satisfaire à l'exigence d'avoir épuisé les recours possibles avant de formuler une demande de révision. À cela, le juge Dalphond répond par la négative:

[10] En l’espèce, le jugement attaqué fait partie de la deuxième catégorie, soit celle où un appel est possible mais uniquement sur permission (art. 26 C.p.c., 2e al., 5e par.). Un pareil jugement peut, sous l’art. 26 C.p.c., faire l’objet d’une permission d’appeler à la Cour d’appel. En pareil cas, le principe de l’épuisement des recours joue-t-il et rend-t-il irrecevable toute possibilité de révision judiciaire?

[11] Non. Si dans le cas de l’appel de plein droit, le principe de l’épuisement des recours s’applique sans hésitation, tel n’est pas le cas lorsqu’une permission est requise. En effet, la jurisprudence sous l’art. 846 C.p.c. distingue entre l’appel sur permission et l’appel de plein droit : Compagnie Wal-Mart du Canada c. Commission des relations du travail, 2006 QCCA 422 ; Pollock c. Mandelman, J.E. 2006-67 (C.A.); Valiquette c. Dupuis, [1986] R.D.J. 92 (C.A.); Plombelec inc. c. Melançon, [1978] R.P. 31 (C.A.); Gagné c. Cour du Québec, J.E. 2002-1579 (C.S.); Laval (Ville de) c. Development Drummond inc., J.E. 2002-725 (C.S.). Un recours en révision judiciaire demeure donc possible dans le cas de jugement dont l’objet en litige est de moins de 50 000 $.
Ainsi, pour cette catégorie de jugements, la partie perdante aura le choix de demander la permission d'en appeler à la Cour d'appel ou de demander la révision judiciaire devant la Cour supérieure. Par ailleurs, cela ne veut pas dire que ces deux recours offrent les mêmes possibilités. Selon le juge Dalphond, le recours en révision judiciaire est beaucoup plus limité quant aux remèdes qui pourront être accordés:
[12] Contrairement à l’appel, un tel recours ne permet pas la correction du jugement attaqué, mais uniquement son annulation et le retour du dossier à la Cour du Québec. Comme le souligne mon collègue le juge Kasirer dans le passage du jugement Aliments Conan cité par la juge de la Cour supérieure, ce serait non seulement dénaturer le recours en révision judiciaire que de tenter d'en faire une voie d'appel automatique, supplantant celle sur permission devant notre Cour prévue par le législateur à l'art. 26 C.p.c., mais aussi contourner la volonté du législateur. La révision judiciaire est un recours extraordinaire au sens du Code de procédure civile, qui assure le respect du principe de la légalité et, en cas de violation, permet l'annulation de la décision attaquée, mais rien de plus.
[13] L'annulation d'un jugement de la Cour du Québec de moins de 50 000$ sera rarement prononcée puisqu’elle ne peut résulter que du constat d’une absence de compétence, de la violation des règles de justice naturelle ou d’une décision contraire à la raison (déraisonnable au sens de Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 ). La démonstration d’une telle illégalité, commise par un juge professionnel, sera plutôt rare.
[14] L’existence d’un recours en révision judiciaire en pareils cas plutôt exceptionnels se justifie d’autant plus qu’une permission d’appeler sous l’art. 26 C.p.c. est généralement accordée pour d’autres motifs qui tiennent de l’importance de la décision par sa nouveauté ou parce qu’elle s’inscrit dans un conflit jurisprudentiel qui mérite d’être tranché par la Cour d’appel.
Référence : [2010] ABD 118

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