jeudi 16 septembre 2010

Théorie des mains propres: la Cour supérieure circonscrit l'application de la théorie dans le cadre d'une demande d'injonction

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La portée de la théorie des mains propres en matière d'injonctions a fait couler beaucoup d'encre depuis son introduction officielle en droit québécois dans l'affaire Brasserie Labatt Ltée c. Montréal (Ville de) (1987 CanLII 386). En fait, le sujet est beaucoup trop complexe pour qu'on en traite de façon exhaustive sur le Blogue. Reste que la récente décision de la Cour supérieure dans l'affaire Cloutier c. Cloutier (2010 QCCS 4270), qui traite de la question, mérite attention.


Il s'agit d'une lutte intrafamiliale où le demandeur accuse son frère d'avoir abusé de ses pouvoirs comme président de Gestion MRC inc. dans le but d'extraire des sommes indues de cette compagnie, dont ils sont coactionnaires égaux et les seuls administrateurs. Les procureurs du demandeurs sont particulièrement alertes et obtiennent des ordonnances injonctives provisoires, Anton Piller et Mareva pour protéger les intérêts du demandeur. Dans le jugement qui nous intéresse, l'Honorable juge Brian Riordan est saisi de la demande de renouvellement de ces ordonnances.

C'est en analysant la question de savoir si le demandeur rencontre tous les critères d'une injonction Mareva que le juge Riordan traite de la théorie des mains propres. Il pose d'abord les balises applicables à une telle demande:
[11] Étant de la nature d'une ordonnance d'injonction provisoire, la Mareva s'octroie selon les critères habituels pour une telle ordonnance: urgence, apparence de droit, préjudice sérieux ou irréparable et balance des inconvénients. Lors du renouvellement, les mêmes tests s'appliquent puisqu'il s'agit d'un procès de novo. Le même raisonnement s'applique d'ailleurs à la provisoire.
[...]

[13] La Mareva dans l'ordonnance initiale interdit à Marcel et à Crumbco d'aliéner de quelque manière leurs actifs « tant que (Roberto) n'aura pu précisément calculer ses dommages … dans le but de protéger le paiement de la créance de (Roberto) ». Elle ordonne également à Marcel de fournir une déclaration sous serment contenant une liste de l'ensemble de ses actifs, ainsi que ceux de Crumbco (« la déclaration d'actifs »). Il doit y mentionner les valeurs et emplacements exacts des actifs et par la suite, se soumettre à un interrogatoire sur cette déclaration.

Selon le juge Riordan, le comportement du défendeur après la première ordonnance est tel que les critères de l'urgence et du préjudice irréparable sont facilement rencontrés. Par ailleurs, il hésite sur la question de l'apparence de droit:
[17] Quant à l'apparence de droit, le Tribunal hésite énormément sur ce critère. Roberto, de son propre aveu, a participé avec son frère dans de nombreuses fraudes fiscales par le biais de MRC. Ses mains ne sont pas propres face aux autorités fiscales. Toutefois, elles semblent l'être, prima facie, à l'endroit de Marcel.

C'est précisément sur ce point que le jugement entrepris est si intéressant. En effet, le juge Riordan, en concluant ultimement que le critère de l'apparence de droit est rencontré et que le demandeur a droit aux ordonnances recherchées, pose le principe que pour obtenir de telles ordonnances les mains de la partie demanderesse doivent être propres dans ses relations avec la partie adverse et non pas nécessairement pour des éléments qui ne sont pas directement pertinents au litige:
[18] Roberto base son droit sur deux types d'allégations: soit qu'il n'a pas eu sa part dans l'argent gagné au noir sorti de MRC à même de fausses factures payées à des compagnies fictives, soit que Marcel a abusé de sa confiance en s'octroyant des montants non convenus avec lui, souvent grâce à des chèques en blanc qu'il a signés alors qu'il habitait aux États-Unis.

[...]

[20] Eu égard au second argument, la preuve appuie l'existence de son droit.

[21] Le Tribunal retient que Marcel a transféré plus d'un million de dollars de MRC à Crumbco sans le consentement de Roberto. Il est vrai que ces sommes sont comptabilisées dans les livres des deux compagnies, mais ça ne change pas le fait qu'il a agi sans droit.

[22] Il s'est également payé des frais de gestion (à Crumbco) pour quelque 233 000 $ et a pris des avances personnellement de MRC pour un autre 245 000 $. Pire encore, dans son affidavit à l'appui de sa contestation du renouvellement de l'ordonnance initiale, il essaie d'induire le Tribunal en erreur quant à la pertinence de ces deux sommes.

[23] Le droit de Roberto dans ce contexte nous semble clair, mais même s'il fallait considérer les deux autres critères, notre décision le favoriserait. Marcel a le droit d'avoir des investissements en Amérique du Sud, certes, mais on doit reconnaître que ceci ne facilite pas la tâche pour retracer des sommes et suscite ainsi la possibilité d'un préjudice sérieux et irréparable.
 
Référence : [2010] ABD 97

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