mardi 21 septembre 2010

Nonobstant une clause d'entente complète, il est parfois permis de s'appuyer aux documents et représentations pré-contractuelles

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Les tribunaux québécois respectent généralement intégralement les clauses d' "entente complète" (entire agreement clause) et excluent la preuve par laquelle une partie tente de référer aux représentations pré-contractuelles (voir à cet égard Restaurant E.S.R. inc. c. Restaurants Prime du Québec inc., J.E. 2000-2066, confirmé par 2003 CanLII 45156). Par ailleurs, il existe des situations où cette règle sera mise de côté et l'affaire Forum Entertainment Center Company c. The Pepsi Bottling Group (Canada) Co. (2010 QCCA 1652) en offre une belle démonstration.


L'affaire implique une dispute quant à l'interprétation à donner à la convention intervenue entre les parties. En effet, l'intimée, en contrepartie de l'exclusivité sur la vente de toutes les boissons gazeuses et autres produits sur le site du Forum, incluant par les locataires (sauf un), s'est engagée à payer certains montants à l'appelante. Qui plus est, l'intimée a acheté le droit de rebaptiser l'immeuble « Le Forum Pepsi» et de promouvoir ses produits par de la publicité ou des évènements promotionnels tenus sur le site. Or, l'intimée allégue ne s'être engagée que parce que l'appelante lui avait fait valoir qu'elle exploiterait un centre de divertissement de première classe unique à Montréal. Sa prétention se base sur la clause suivante:
6.0 Sponsorship Rights

[…] FEC hereby agrees that :

(d) it will operate and maintain the Premises as a first class entertainment facility similar to other first class entertainment facilities in the city of Montréal. In this regard, FEC shall maintain, repair and replace all common areas of the Premises in a good and substantial manner, to the standards of a first class entertainment facility, including without limitation the foundation, roof, exterior walls, structural elements thereof, and all systems and equipment thereof;

Pour sa part, l'appelante plaide plutôt que cette clause ne comporte que des obligations d'entretien ménager et de réparations de l’immeuble.

En premier instance (Compagnie du centre de divertissement du Forum/Forum Entertainment Center Company c. Société du groupe d'embouteillage Pepsi (Canada)/ Pepsi Bottling Group (Canada) Co., 2008 QCCS 4672), l'intimée désire produire des documents pré-contractuels qui, elle allègue, supporte son interprétation de la clause. Nonobstant la présence d'une clause d' "entente entière", le juge de première instance (l'Honorable Pierre-C. Gagnon) permet le dépôt de cette preuve au motif que le texte de la clause en litige est ambiguë et qu'il est dès lors permis de faire la preuve de l'intention des parties par tous les moyens:
[166] Est donc irrecevable tout élément de preuve qui tendrait à modifier le contrat P-1, notamment en ajoutant des obligations assumées par FEC du fait d'affirmations verbales par des représentants de FEC, durant la phase pré-contractuelle.

[167] Le débat sur les objections se terminerait ici si ce n'était de la clause 6.1(d) engageant FEC à « operate and maintain the Premises as a first class entertainment facility similar to other first class entertainment facilities in the city of Montreal ».

[168] Cette stipulation est ambiguë et requiert interprétation. On le verra en détail plus loin dans ce jugement.
[...]

[170] Il ne s'agit pas ici d'annihiler l'effet juridique de la clause 16.4 : les parties ne sont liées que par ce qui est convenu au contrat P-1. Les témoignages ne peuvent faire naître des obligations distinctes de celles énoncées à ce contrat.

[171] Mais, tout en considérant le contrat P-1 comme une entente ou une convention complète en soi, celui-ci comporte des ambiguïtés. Le Tribunal doit résoudre ces ambiguïtés en recherchant la commune intention des parties, en référant aux circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu. Les discussions pré-contractuelles font partie de ces circonstances.

[172] Pour ces motifs, le Tribunal accueille partiellement les objections nos 1, 2 3 et 5. La preuve testimoniale peut servir pour interpréter la clause 6.1(d) du contrat P-1, mais non pour établir d'autres droits et obligations que ceux énoncés au contrat P-1.

Un banc unanime de la Cour d'appel confirme la justesse de cette approche:
[22] Le juge de première instance avait discrétion pour déterminer si la clause 6.1d) est ambiguë et nécessite une interprétation. En l'espèce, FEC et CFI n'ont pas démontré que cette discrétion avait mal été exercée.
[23] À l'examen de la preuve testimoniale et documentaire, il ne fait pas de doute que FEC voulait transformer le Forum en centre de divertissement de première classe et non en centre commercial. Toute la documentation produite au soutien de son projet l'indique d'ailleurs clairement. [...] 
[24] C'est dans ce contexte que FEC a approché PBG afin qu'elle devienne une importante commanditaire de ce nouveau complexe. L'engagement de PBG était d'environ 5,7 millions de dollars sur une période de 15 ans. 
[25] La clause étant ambiguë, le juge n'a pas commis d'erreur révisable en choisissant, à la lumière de la preuve, l'interprétation selon laquelle FEC (et par la suite CFI) devait exploiter un centre de divertissement de première classe et non un établissement où les commerces sont ceux que l'on retrouve habituellement dans les centres commerciaux. La deuxième phrase de la clause, qui commence par « In this regard» ne vient pas limiter son sens général, mais apporte plutôt une précision en ce qui concerne l'entretien de l'immeuble.

Référence : [2010] ABD 102

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