lundi 13 septembre 2010

Le montant des honoraires d'un avocat ou un notaire est protégé par le secret professionnel

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Participer à la rédaction des divers résumés sur le Blogue du CRL est une expérience très gratifiante. En fait, la seule frustration tient du fait que nous ne pouvons rendre justice à certains jugements importants faute de temps et surtout d'espace. C'est le cas de la décision remarquable rendue par l'Honorable juge Marc-André Blanchard le 8 septembre dernier dans Chambre des notaires du Québec c. Canada (Procureur général) (2010 QCCS 4215), où il invalide certaines dispositions de la Loi sur l'impôt sur le revenu du Canada (la "Loi") parce qu'elles contreviennent au secret professionnel des avocats et notaires.


Nous invitons tous nos lecteurs à prendre connaissance de la décision intégrale en suivant le lien à la fin de ce billet. Pour nos fins présentes, il suffit de noter que la Cour devait trancher la question de savoir si certaines dispositions de la Loi, qui permettaient aux fonctionnaires de l'Agence des douanes et du revenu du Canada de formuler des demandes péremptoires adressées à des notaires ou avocats et de requérir des informations à propos de leurs clients, étaient constitutionnellement valides.

Après une analyse approfondie de la jurisprudence pertinente, et particulièrement celle de la Cour suprême du Canada, le juge Blanchard dégage les principes généraux suivant quant au secret professionnel:
[80] De tout ceci, le Tribunal conclut quant au secret professionnel:

· Qu'il n'y a pas lieu, a priori, de tracer une distinction entre le droit en matière criminelle d'en matière civile.

· Que la distinction entre ce que constitue un «fait» par rapport à une «communication» n'a pas sa raison d'être.

· Que dès qu'une relation professionnelle légitime s'établit entre un professionnel du droit et un client, tous les gestes, documents et toutes les informations sont, prima facie, couverts par le secret professionnel.

· Que c'est à la personne qui conteste l'existence soit de l'immunité de divulgation, soit l'obligation de confidentialité, de démontrer pourquoi tel n'est pas le cas.

· Que les exceptions permettant d'y passer outre doivent être rarissimes et n'être utilisées qu'en dernier recours.

· Que les mécanismes législatifs mis en place doivent s'assurer d'en respecter scrupuleusement l'existence afin d'éviter des divulgations intempestives.

· Que tout texte législatif susceptible d'y porter atteinte s'interprète restrictivement et ne peut permettre la production de documents qu'il protège.

Dans le cadre de son analyse, le juge Blanchard s'arrête particulièrement à la question de savoir si le montant des honoraires versés à un avocat ou un notaire est couvert par le secret professionnel. La question avait fait l'objet d'analyse plus tôt cette année par la Cour supérieure dans Droit de la famille - 10685 (J.E. 2010-794, inscription en appel pendante) qui avait jugée que le seul montant des honoraires n'était pas couvert par le secret professionnel. Le juge Blanchard, avec raison selon nous, en vient à la conclusion que cette décision n'était pas conforme aux enseignements de la Cour suprême en la matière:
[65] Comme l'Agence et le PGC plaident qu'il doit exister une distinction entre le droit criminel et le droit civil pour ce qui est de la détermination des droits en cause, le Tribunal a souligné aux parties, à ce sujet, après l'audience, l'existence de la décision R.L. c. M.S. dont il venait d'apprendre l'existence et requis leurs commentaires.

[66] Dans cette affaire, le Tribunal devait statuer sur une requête pour obtenir la divulgation du mandat des honoraires professionnels payés par le père dans le cadre d'un débat relatif à la garde d'un enfant. On précise alors que la demande ne visait pas la communication des états de compte de l'avocate de la partie adverse, mais uniquement le montant des sommes payées par celle-ci en 2009 et 2010, celles qui sont dues et le tarif horaire de l'avocate.

[67] Dans son analyse, il réfère au fait que la Cour suprême a traité à deux reprises de la question du caractère privilégié des honoraires de l'avocat dans des cas de litige relevant du droit criminel, soit les arrêts Maranda et Cunningham.

[68] Quant à l'impact de l'arrêt Maranda, il décide que puisque le droit au silence et par voie de conséquence, la protection constitutionnelle contre l'auto-incrimination n'existe pas en matière civile et qu'en matière criminelle, la divulgation du montant de la rémunération de l'avocat pouvant porter indirectement atteinte à cette protection, le principe émis dans cette décision ne s'applique donc pas nécessairement en droit civil.

[69] Pour ce qui est de la décision Cunningham où la Cour suprême devait décider si, dans une affaire pénale, une cour de justice peut refuser d'autoriser un avocat de la défense à cesser d'occuper pour cause de non-respect par l'accusé des conditions financières du mandat, il décide que puisque la Cour suprême a fondé sa décision sur le seul fait que le non-paiement des honoraires professionnels de l'avocat ne peut servir à incriminer une personne, elle émet un obiter lorsqu'elle discute de l'effet que peut avoir une allégation d'impécuniosité en droit civil, plus précisément dans le cadre d'une demande de pension alimentaire. Par conséquent, il y avait lieu de ne pas
retenir ces décisions pour adjuger quant au sort de la requête dont il était saisi.

[70] Déclarant que les arrêts Kruger et Ruffo (Re) de la Cour d'appel s'imposaient à lui, le juge dans R.L. conclut que la plus haute juridiction du Québec a reconnu le principe que le montant des honoraires payés par une partie à son avocat n'est pas une information privilégiée. Il remarque également qu'une partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires renonce à son privilège comme l'a entre autres décidé la Cour d'appel du Québec dans APEIQ c. Corporation Nortel Networks.

[71] Avec les plus grands égards, le Tribunal ne peut, en l'instance, conclure de façon identique. Voici pourquoi.
[72] Dans R. c. Henry, la Cour suprême opine quant à la portée de ce qu'il est convenu d'appeler un obiter dictum, qu'elle analyse sous le vocable « remarques incidentes », par rapport à la ratio decidendi, soulignant qu'il n'existe pas une dichotomie aussi marquée entre ces concepts que d'aucun aimerait y voir.

[73] Elle enseigne que les remarques incidentes n'ont pas et ne sont pas censées avoir toute la même importance. Elle note que lorsqu'elles s'éloignent de la ratio decidendi pour s'inscrire dans un cadre d'analyse plus large dont le but est manifestement de servir de balise, leur poids diminue.

[74] D'une part, pour le Tribunal, la remarque incidente dans Cunningham sert nommément d'illustration pour expliquer la ratio decidendi quant aux conséquences d'une allégation d'impécuniosité en matière civile. Bien que la formulation qui suit semble en elle-même contradictoire, pour le Tribunal cette remarque incidente dans l'arrêt Cunningham se trouve au cœur même du raisonnement de la Cour suprême quand elle tranche la question dont elle est saisie tout en n'étant pas spécifiquement, la question dont elle devait décider. Par conséquent, son poids persuasif demeure important.

[75] D'autre part, lorsque dans Maranda on lit que la distinction entre « fait » et « communication » n'est pas respectueuse du droit au secret professionnel et mènerait à l'affaiblissement du privilège si on la maintenait, on ne peut raisonnablement se convaincre qu'il doit exister une différence entre le droit civil et le droit criminel à cet égard. En effet, si le compte d'honoraires et son acquittement découlent de la relation avocat-client, ils sont donc, prima facie, couverts par le secret professionnel comme la Cour suprême l'affirme dans Foster Wheeler.

[76] À titre illustratif, comment logiquement traiter le compte d'honoraires et le paiement du client qui consulte un seul conseiller juridique pour des faits qui relèvent à la fois du droit criminel et du droit civil? Comme exemple plus précis parmi plusieurs situations qui peuvent exister, qu'en est-il du droit au secret professionnel de la personne pouvant faire l'objet d'accusations criminelles quant à sa conduite à l'égard d'un conjoint ou d'un enfant et qui est partie à une procédure judiciaire relative à la garde de l'enfant basée sur les mêmes faits, qui consulte un conseiller juridique pour les deux affaires?

[77] De plus, les autorités des décisions de la Cour d'appel du Québec qui imposent la décision au Tribunal dans l'affaire R.L. relèvent toutes d'un contexte de renonciation, si ce n'est expresse à tout le moins implicite, au privilège de confidentialité. À cet égard, toutes ces décisions révèlent que la situation n'est pas différente de celle d'une personne qui poursuit un professionnel, quel qu'il soit, à l'égard de leur relation professionnelle, ce qui implicitement relève celui-ci de son devoir de confidentialité.

[78] Il s'ensuit que de façon conceptuelle et générique, la dichotomie entre le droit civil et le droit criminel ne doit pas exister quant à l'existence, prima facie, du droit au secret professionnel.

[79] Donc, pour le Tribunal, comme il s'estime lié par les énoncés clairs et précis de la Cour suprême, il ne peut partager l'opinion émise dans l'affaire R.L.
 

Référence: [2010] ABD 91

2 commentaires:

  1. Jugement fort important en effet. Merci d'avoir pris le temps de le résumer Karim!

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  2. Un plaisir, quoique j'aurais aimé pouvoir discuter sur le Blogue de plusieurs autres aspects intéressants de la décision.

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