mercredi 8 septembre 2010

L'erreur inexcusable constitue une fin de non-recevoir d'un recours en répétition de l'indu

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La partie défenderesse à une action en répétition de l'indu peut-elle opposer la négligence de la demanderesse à titre de fin de non-recevoir du recours. Cette question épineuse a fait couler beaucoup d'encre dans la jurisprudence québécoise et était centrale dans l'affaire Faucher c. SSQ, société d'assurance-vie inc. (2010 QCCS 4072).


La demanderesse demandait au Tribunal de déclarer qu'elle était la seule bénéficiaire d'une rente de survivants payable en vertu du Régime de rentes de survivants des employés cadres de la fonction publique du Québec. La SSQ, qui administre le régime conteste ce recours et soutient que la rente payable devait en fait être payée à la mise en cause. La SSQ se porte également demanderesse reconventionnelle afin de récupérer la rente qu'elle a versée par erreur à la demanderesse pendant une période de neuf mois. Elle invoque les règles de la répétition de l'indu. Pour contrer cette demande reconventionnelle, la demanderesse invoque la négligence de la défenderesse, qui aurait du constater son erreur bien plus tôt.

L'Honorable juge Jean-François Émond commence par faire une revue exhaustive de la jurisprudence pour déterminer si la faute ou la négligence de la défenderesse est une fin de non-recevoir à son action. Il constate que deux courants jurisprudentiels se contredisent et en vient à la conclusion suivante si la question de droit:
[92] L'analyse de ces jugements montre l'existence de deux courants jurisprudentiels.

[93] Un premier refuse au solvens le recours à la répétition de l'indu lorsque le paiement qu'il a effectué résulte de sa faute ou de sa négligence. Selon les tenants de cette école, la faute du solvens ne constitue pas une erreur de consentement. L'accipiens n'a donc pas à démontrer qu'il souffre d'un préjudice en raison de cette faute ou négligence. Il lui suffit de démontrer la faute ou la négligence du solvens.


[94] Le second courant jurisprudentiel est plus exigeant. Il permet au solvens d'exercer son recours en répétition de l'indu même si le paiement qu'il a effectué résulte de sa faute ou de sa négligence. Toutefois, il autorise l'accipiens à réclamer les dommages qu'il subit en raison de cette faute ou négligence afin que ces dommages soient compensés à même les montants qu'il est tenu de rembourser au solvens.

[95] Selon les tenants de cette dernière école, la fin de non-recevoir nécessite la preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité.

[...]

[97] L'arrêt de principe sur cette question nous apparaît être celui rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Green Line Investor Services inc.

[98] Dans cet arrêt, la juge Thérèse Rousseau-Houle fait l'analyse de ces deux courants jurisprudentiels et conclut que la faute ou la négligence à l'origine de l'erreur du solvens ne constitue pas, à elle seule, une fin de non-recevoir à l'exercice de son recours en répétition de l'indu. Elle reconnaît toutefois que l'accipiens peut réclamer au solvens les dommages qu'il subit en raison de cette faute et demander la compensation de ces dommages à même les montants qu'il doit rembourser au solvens [...]

[99] L'analyse des jugements rendus à la suite de cet arrêt montre que les tribunaux ont majoritairement refusé la défense de fin de non-recevoir de l'accipiens fondée sur la seule faute du solvens. Ils exigent de l'accipiens qu'il fasse la preuve de ses dommages et du lien de causalité entre ces dommages et la faute du solvens.

[100] Ainsi, il apparaît maintenant clairement établi que l'erreur du solvens qui résulte de sa faute ne constitue pas, en soi, un obstacle au recours en répétition de l'indu.

Or, s'il conclut que l'erreur simple n'est pas un obstacle au recours en répétition de l'indu, il en est autrement de l'erreur inexcusable. En effet, le juge Émond rappelle que l'erreur inexcusable ne vicie pas le consentement, de sorte qu'elle est incompatible avec ce type de recours. Puisqu'il en vient à la conclusion que la défenderesse a ici commis une telle erreur inexcusable, il rejette la demande de remboursement:
[101] Mais qu'en est-il lorsque le solvens commet une erreur inexcusable qui résulte d'une faute lourde ou d'une négligence grossière?  
[102] Cette question a été analysée par notre collègue Suzanne Courteau dans le jugement rendu dans l'affaire Steckmar Corp. c. Consultants Zenda ltée. 
[103] Dans ce jugement, la juge Courteau refuse de faire droit au recours en répétition de l'indu au motif que l'erreur du solvens est grossière ou inexcusable. 
[...] 
[106] Dans le contexte où l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Green Line Investor Services inc. assimile l'erreur du solvens à une erreur de consentement, la conclusion à laquelle en arrive la juge Courteau nous apparaît pleinement justifiée. 
[107] De tout ce qui précède, le Tribunal retient que :
a. le solvens peut exercer son recours en répétition de l'indu même lorsque son paiement résulte de sa faute ou de sa négligence;  
b. l'accipiens peut réclamer au solvens les dommages qu'il subit en raison de sa faute ou de sa négligence et obtenir la compensation de ces dommages à même les montants qu'il est tenu de lui rembourser;  
c. l'erreur inexcusable du solvens constitue, à elle seule, une fin de non-recevoir au recours en répétition de l'indu. 
[108] En l'espèce, SSQ avait en sa possession tous les éléments pour identifier la véritable conjointe survivante de M. Vachon en vertu du Régime. 
[109] Les réclamations qui lui étaient soumises par Mme Faucher et Mme Lagueux ne revêtaient aucune difficulté particulière. 
[110] Une analyse un tant soit peu sérieuse de ces deux réclamations aurait dû lui permettre, dès le départ, de prendre la bonne décision. 
[111] D'ailleurs, le représentant de SSQ n'a donné aucune justification pour expliquer l'erreur de SSQ.  
[112] De l'avis du Tribunal, l'erreur de SSQ est inexcusable et ne constitue pas un vice de consentement donnant ouverture au recours de répétition de l'indu.
 
Référence: [2010] ABD 84

Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Green Line Investor Services inc. c. Quin, 1996 CanLII 5734 (C.A.).
2. Steckmar Corp. c. Consultants Zenda ltée, J.E. 2002-1823 (C.S.).

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