mardi 7 septembre 2010

Exception au secret professionnel en matière testamentaire

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Une décision très intéressante en matière de secret professionnel a été rendue récemment par l'Honorable juge Alicia Soldevila dans Beaulieu (Succession de) c. Beaulieu (2010 QCCS 3979). Il s'agissait de déterminer si un notaire pouvait être appelé à témoigner sur le contenu de son dossier testamentaire ou si ledit dossier était protégé par le secret professionnel.


L'affaire concerne une demande de reconstitution de testament. Après défense, l'on demande à interroger au préalable le notaire qui a préparé le testament et à obtenir la divulgation du contenu de son dossier. Les défendeurs soulèvent le secret professionnel pour s’opposer à la divulgation du dossier constitué par le notaire et à son témoignage.

La juge Soldevila en vient à la conclusion que le secret professionnel ne s'applique pas pour deux raisons. D'abord, le contexte dans lequel sont faites les déclarations n'amène pas à conclure qu'il s'agissait de confidences protégées par le secret professionnel puisqu'elles étaient destinées à être diffusées:
[12] Les circonstances de la rencontre et du mandat confié par Beaulieu au notaire Poulin en présence de la demanderesse (ce qui n’est pas nié par le notaire mis en cause dans P-2), alors qu’il sait qu’il a peu de jours à vivre et que le notaire s’est déplacé chez lui aux fins de recueillir ses dernières volontés, démontrent que les déclarations faites par Beaulieu ne relèvent pas de la confidence protégée par le secret professionnel. Il s’agit plutôt d’une communication devant témoin de ses intentions de tester que le notaire devait recueillir afin de rédiger un testament constatant entre autres qu’un partage égal du produit de la vente de sa résidence soit effectué entre sa conjointe et ses trois fils. 
[13] Beaulieu a, selon ce qui est allégué, exprimé également ses dernières volontés à sa sœur Claire Beaulieu en présence de deux de ses enfants et son témoignage autorisé par le Tribunal pourra permettre de vérifier si celle-ci peut venir corroborer que les déclarations que lui a faites son frère cette journée-là correspondent à celles qu’il a faites en présence de la demanderesse et devant le notaire Beaulieu la journée du 22 mars. Le juge du fond devra évaluer cette preuve si nécessaire. 
[14] D’une part, vis-à-vis la demanderesse, le testateur a clairement renoncé à son droit au secret professionnel de la part du notaire puisque le contenu des informations livrées au notaire a été librement partagé avec la demanderesse.

Qui plus est, la juge Soldevila note qu'on a importé en droit québécois l'exception de la common law au secret professionnel en matière testamentaire:
[15] D’autre part, il existe une exception au principe de la confidentialité associé habituellement aux communications entre un avocat (notaire) et son client, créée par la Common law, qui a été sanctionnée par la jurisprudence de droit civil. L’arrêt Geffen fait l’objet d’une analyse détaillée par l’honorable juge Marie-Christine Laberge dans Beauchamp c. Berthold-Beauchamp dont voici les passages pertinents :
14 La Cour suprême réitère que les communications entre l'avocat et son client sont protégées par un privilège de non-divulgation. La Cour ajoute que les communications confidentielles entre l'avocat et son client ne peuvent être divulguées que dans certains cas précis. Citant Wigmore on Evidence, la Cour indique qu'une exception a été prévue afin de permettre à l'avocat de témoigner en matière testamentaire. Il y a lieu de reproduire, comme le fait la Cour suprême, ce qu'enseigne Wigmore.
"Mais dans le cas des testaments, un élément particulier entre en jeu. L'on ne peut guère douter que le client souhaite tacitement que la signature et surtout le contenu demeurent secrets pendant sa vie et qu'ils font donc partie de sa communication confidentielle. Il faut présumer que, durant cette période, l'avocat ne devrait pas être appelé à divulguer même le fait qu'il y a eu signature d'un testament, et encore moins sa teneur. Mais, en revanche, ce caractère confidentiel n'est destiné à être que temporaire, il est évident qu'une telle restriction peut être apportée au privilège."
15 La Cour suprême ajoute que lorsqu'on met en cause la validité d'un testament, le juriste qui l'a préparé peut témoigner de l'état d'esprit du testateur. Citant aussi Phipson on Evidence, la Cour précise que, chaque fois que celui qui invoque le secret et le client du notaire ont un intérêt commun dans le sujet des communications, le privilège ne s'applique pas. 
16 Le privilège ne s'appliquerait donc pas lorsque les ayants droit d'un testateur partagent avec celui-ci l'intérêt de faire respecter ses volontés. 
17 La Cour cite avec approbation une décision de la Cour d'appel d'Ontario dans l'affaire Stewart c. Walker.
"La nature de l'affaire empêche de soulever la question du secret professionnel. La règle a pour objet de protéger les intérêts du client ou de ses ayants droit quand ils s'opposent à ceux de tierces personnes qui ne sont pas et qui ne prétendent pas être des ayants droit. Et ce n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il s'agit de décider quelles ont été les dispositions testamentaires si tant est qu'il en ait formulé."
18 En permettant le témoignage, en l'espèce de l'avocat, ici du notaire, la Cour suprême estime que le droit au secret reste protégé. La divulgation ne touche à aucun droit ni à aucun intérêt du client. Bien plus, elle sert ses intérêts. Ce qui justifie le secret, ce sont les intérêts de la testatrice. L'admission du témoignage, expose la Cour, a précisément pour but d'établir ses intentions véritables. La Cour dit aussi qu'il y va de l'intérêt de la justice d'admettre ce témoignage. Les intentions véritables de la disposante doivent être établies par l'admission du témoignage du notaire.
19 Outre le fait que le Tribunal estime que le secret professionnel n'empêche pas le notaire de témoigner sur les véritables intentions de la testatrice, un autre élément convainc le Tribunal qu'un tel témoignage est permis.
[16] Le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de considérer également ici l’exception créée par la Common law visant à découvrir les intentions véritables du testateur pour que soient rencontrées ses dernières volontés.  
[17] Aussi, et malgré qu’en droit civil le secret professionnel est un droit personnel et extrapatrimonial qui continue d’exister après le décès de l’auteur de la confidence, le Tribunal considère que le droit au secret professionnel ne peut être soulevé par les héritiers, ceux-ci partageant l’intérêt du testateur de faire respecter ses volontés comme le rappelait plus haut l’honorable juge Marie-Christine Laberge.  
[18] Pour ces motifs, il y a lieu de permettre l’interrogatoire du notaire pour qu’il soit questionné sur l’existence d’un document signé par Beaulieu et la demanderesse, lors de leur rencontre du 22 mars 2010, et sur les volontés exprimées par Beaulieu relativement au testament que devait rédiger le notaire, afin que le juge du fond puisse déterminer si les faits en litige peuvent donner lieu à une reconstitution testamentaire selon les dispositions des articles 714 et 774 du Code civil du Québec.
 
Référence : [2010] ABD 83

Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353.
2. Beauchamp c. Berthold-Beauchamp, 2006 QCCS 5746.

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