jeudi 19 août 2010

Un document émanant d'un tiers peut constituer un commencement de preuve

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Bien que l'article 2865 C.c.Q. prévoit que, pour constituer un commencement de preuve, un document doit émaner de la partie adverse, les tribunaux ont assoupli cette exigence dans certaines circonstances particulières. La décision récente de la Cour du Québec dans Ramsay c. Bourque (2010 QCCQ 6917) offre une belle illustration de ce principe.


Dans cette affaire, le demandeur réclame le remboursement de certains prêts effectués à la défenderesse. Malheureusement pour lui, ces actes de prêt allégués ne sont pas consignés dans un écrit et la défenderesse prétend qu'il s'agissait plutôt de dons. Naturellement, la défenderesse s'oppose à ce que le demandeur fasse la preuve des prêts par témoignage en l'absence d'un commencement de preuve.

À titre de commencement de preuve, le demandeur invoque les récépissés des virements bancaires qu'il a effectué. Or, bien que ces récépissés n'émanent pas de la partie adverse, un de ceux-ci porte la signature de la défenderesse. L'Honorable juge Pierre Labbé en vient à la conclusion que c'est suffisant pour satisfaire à l'article 2865 C.c.Q.:
[15] Le récépissé du virement bancaire de 88 000 $ du 11 octobre 2005 n'émane pas de la défenderesse, mais de la caisse populaire. Cette dernière l'a cependant signé. Le professeur Jean-Claude Royer écrit dans son ouvrage La preuve civile :
1393 – Généralités – La seconde condition nécessaire à l'existence d'un commencement de preuve est que celui-ci émane de la partie à qui on entend l'opposer. Il faut donc exclure tout document qui vient de la partie qui l''invoque ou d'un tiers et auquel on ne peut rattacher la partie adverse, ni directement, ni indirectement.

1395 – Acceptation ou utilisation – Un commencement de preuve confectionné par un tiers émane également de la partie adverse, lorsque celle-ci l'accepte expressément ou tacitement. Cette acceptation peut s'inférer du fait qu'une partie est en possession d'un document ou qu'elle l'utilise à son profit. […]
[16] Le Tribunal conclut que le récépissé du virement bancaire signé par la défenderesse constitue un commencement de preuve. Rend-il vraisemblable le prêt allégué par le demandeur?

[17] Il est admis que la somme de 100 000 $ a été déposée dans le compte conjoint numéro 91946. Après le transfert de 88 000 $ dans le compte personnel du demandeur, il restait 12 000 $ dans le compte conjoint. Il est admis que cette somme a été utilisée pour payer le solde du prêt-auto de la défenderesse. Il est donc vraisemblable qu'il y ait eu un prêt du demandeur à la défenderesse pour cette somme; il est aussi vraisemblable qu'il se soit agi d'une donation. La vraisemblance est une notion dont le spectre va de la possibilité à la probabilité. Le Tribunal cite à nouveau le professeur Royer:
1400 – […] Certains critères guident le tribunal dans l'appréciation de la vraisemblance d'un commencement de preuve. Celui-ci doit rendre probable, et non seulement possible, l'acte juridique qu'un plaideur entend prouver. Ainsi, une simple carte constatant l'ouverture d'un compte dans une institution financière ne rend manifestement pas probable la conclusion d'un contrat de prêt.

1401 – Applications – La vraisemblance est une notion relativement vague et imprécise. L'appréciation subjective et discrétionnaire de cette notion par les tribunaux explique l'existence de décisions apparemment incompatibles ou contradictoires, lorsqu'un commencement de preuve peut rendre probables des actes juridiques distincts. Ainsi, les tribunaux ont souvent décidé que l'admission par un défendeur, qu'il a reçu du demandeur une somme d'argent ou un autre bien en vertu d'un contrat différent de celui qui est invoqué par le demandeur, ne permet pas la preuve testimoniale de l'acte juridique allégué par le demandeur. D'autres jugements, dont l'un a été rendu par la Cour suprême du Canada, reconnaissent que l'aveu par le défendeur d'un contrat différent est un commencement de preuve suffisant pour autoriser le demandeur à établir l'acte juridique qu'il a allégué. […]
[18] Le Tribunal conclut que le récépissé rend vraisemblable le prêt de 12 000 $ et en conséquence l'objection est rejetée.

Ainsi, même si le document provient d'un tiers, son acceptation expresse par la défenderesse en fait un commencement de preuve valable selon la Cour. Par ailleurs, le deuxième récépissé émis par l'institution financière n'est, lui, pas signé par la défenderesse, ce qui amène la Cour à l'exclure à titre de commencement de preuve:
[19] Quant au prêt de 2 000 $, le récépissé du virement bancaire n'est pas signé par Micheline Bourque. Il s'agit donc d'un document qui n'émane pas de la défenderesse. En conséquence, il ne s'agit pas d'un commencement de preuve et l'objection est maintenue. Le Tribunal conclut que ce prêt n'a pas été prouvé. À titre subsidiaire, le Tribunal ajoute qu'il aurait retenu la version de la défenderesse.
 
Référence : [2010] ABD 68

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