lundi 23 août 2010

Théorie de l'indoor management: la Cour d'appel insiste sur la nécessité d'être de bonne foi pour y avoir recours

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Plusieurs règles de droit ont été développées à travers les années pour adapter la réalité juridique à la réalité des affaires. La règle de l' "indoor management" (i.e. l'application particulière du mandat apparent aux affaires d'une compagnie) est une de celles-là. Or, dans le jugement très récent de Matte c. Charron (2010 QCCA 1496), la Cour d'appel rappelle que la partie qui désire en invoquer l'application doit elle-même avoir été de bonne foi.


Bien qu'un résumé de la trame factuelle complexe de l'affaire n'est pas nécessaire pour les fins du présent billet, l'on retiendra que le litige avait comme enjeu la propriété de deux immeubles au centre-ville de Montréal dans le cadre d'une prise en paiement. Les prêts et les documents hypothécaires avaient été signés par l'administrateur unique des appelantes, bien que celui-ci, en fonction des règles internes propres à ces deux entreprises, n'avait pas l'autorité pour ce faire. Se basant sur la théorie de l'indoor management, la juge de première instance avait confirmé la validité des documents ainsi signés.

Traitant de cette théorie, la Cour d'appel rappelle d'abord que celui qui l'invoque doit être de bonne foi:
[67] La règle de l'« indoor management » confère une protection aux tiers qui agissent de bonne foi. Le juge Gonthier, alors à la Cour supérieure, a fait une revue de la doctrine et de la jurisprudence sur ce point dans l'affaire Construction Miroka Ltée c. Racicot. Les auteurs Maurice Martel et Paul Martel décrivent en ces termes les prérequis nécessaires pour invoquer la règle :
Pour invoquer la protection de la règle de l'indoor management, il faut être de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ne faut pas avoir eu connaissance de l'irrégularité ou avoir eu vent de circonstances susceptibles de soulever des doutes quant à la validité de la transaction et dans ce dernier cas n'avoir pas fait enquête. Cette connaissance de circonstances louches et ce défaut de se renseigner davantage jouent contre la personne qui invoque la protection de la règle, même si on s'aperçoit qu'une enquête de sa part ne lui aurait rien révélé.

Elle ajoute qu'une référence aux règles du mandat apparent, l'interface civiliste de l'indoor management, est nécessaire:
[69] Quant à elle, la règle du mandat apparent se retrouve à l'article 2163 C.c.Q. Bien qu'il s'agisse de l'interface civiliste de la doctrine de l'« indoor management », le texte de l'article ajoute une précision relative à la conduite du mandant. L'article 2163 C.c.Q. porte que :
2163. Celui qui a laissé croire qu'une personne était son mandataire est tenu, comme s'il y avait eu mandat, envers le tiers qui a contracté de bonne foi avec celle-ci, à moins qu'il n'ait pris des mesures appropriées pour prévenir l'erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible.
[70] À ces textes s'ajoutent les articles 62 et 82 de la Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales:

62. Les informations relatives à chaque assujetti font preuve de leur contenu en faveur des tiers de bonne foi à compter de la date où elles sont inscrites à l'état des informations. Les tiers peuvent par tout moyen contredire les informations contenues dans une déclaration ou dans un document transféré au registraire en vertu de l'article 72, 72.1 ou 73.
Ces informations sont les suivantes :

[…]

6 le nom et le domicile de chaque administrateur avec mention de la fonction qu'il occupe 
[…]

82. Les informations relatives à chaque assujetti sont opposables aux tiers à compter de la date où elles sont inscrites à l'état des informations. Les tiers peuvent par tout moyen contredire les informations contenues dans une déclaration ou dans un document transféré au registraire en vertu de l'article 72, 72.1 ou 73. 
Ces informations sont les suivantes :

[…]

6 le nom et le domicile de chaque administrateur en mentionnant la fonction qu'il occupe. 
[…]
[71] Comme on peut le constater, il s'agit de règles de protection au bénéfice des tiers pour favoriser la sûreté des rapports juridiques. La bonne foi est requise de tout tiers qui recherche la protection que confèrent les règles de l'« indoor management » ou du mandat apparent.

Fait à noter, la Cour souligne souligne que la bonne foi dans dans un tel contexte exige parfois plus que la simple démonstration d'absence de mauvaise foi:
[72] Bien qu'elle ne soit pas définie au Code civil du Québec, la bonne foi imprègne les droits civils et en conditionne l'exercice. La doctrine identifie deux acceptions de la bonne foi. La première qui renvoie à l'état d'esprit. C'est la bonne foi au sens traditionnel qui s'oppose à la mauvaise foi. Suivant ce sens traditionnel, sera de bonne foi la personne qui agit sans malice, sans réaliser qu'elle agit de façon illégale ou illégitime. On parle alors de bonne foi subjective.
[...]

[74] Ainsi, une personne exercera ses droits selon les exigences de la bonne foi dans la mesure où son comportement est acceptable suivant les normes de conduite moralement ou socialement reconnues. À maintes reprises, notre Cour a eu recours à cette notion de bonne foi objective.

[75] Dans Acier d'armature Rô inc. c. Stelco inc., la Cour conclut à la bonne foi en l'absence de malice et également parce que la conduite de la partie ne constituait pas non plus « un écart marqué par rapport à la norme de conduite dans le milieu des affaires ». Dans ABB inc. c. Domtar inc., la Cour a rappelé que l'exigence d'agir de bonne foi va au-delà de la simple absence de mauvaise foi. Dans Développement Tanaka inc. c. Commission scolaire de Montréal, le juge Forget conclut à l'absence de bonne foi de la Commission scolaire qui a agi de façon déraisonnable « s'écartant clairement de la norme de conduite d'une personne prudente et diligente ».

[76] La doctrine a identifié plusieurs obligations qui découlent des exigences de la bonne foi : obligations de renseignement, de loyauté, de coopération et de confidentialité. Ces mêmes obligations recoupent différents concepts qui vont du devoir d'information et de conseil à la conduite qui n'est ni excessive ni déraisonnable.

En l'espèce, la Cour d'appel ne voit pas de motif de mettre de côté la conclusion de la juge de première instance quant à la bonne foi du créancier hypothécaire. Reste par ailleurs que cette décision est très intéressante au niveau des principes sous-jacents à l'application de la théorie de l'indoor management.

Référence : [2010] ABD 71

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