lundi 2 août 2010

La Cour supérieure étaye les critères d'un congédiement abusif

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Dans quelles circonstances un employé peut-il réclamer des dommages pour congédiement abusif? C'est une des questions qui se posait dans l'affaire Lortie c. Global Financial Associates Inc. (2010 QCCS 3363) où un jugement au mérite a été rendu le 28 juillet dernier.


Si la résiliation unilatérale du contrat d'emploi emporte généralement l'obligation de prévoir un délai-congé ou de procéder au paiement d'une somme d'argent en tenant lieu, seuls les congédiements abusifs donnent droit à l'obtention de dommages et intérêts généraux, comme le rappelle l'Honorable juge Louise Lemelin:
[95] Le demandeur réclame une condamnation conjointe des défenderesses à lui payer « la somme de 50 000 $ à titre d'atteinte à l'honneur et à l'image suite au congédiement abusif ».

[96] La résiliation unilatérale par l'employeur d'un contrat à durée indéterminée n'est pas en soi une faute civile, il s'agit d'un droit discrétionnaire accordé par le législateur même si la décision cause un préjudice sérieux.
[97] La cour d'appel dans l'arrêt Ponce c. Montrusco & Associés Inc. souligne :

La résiliation, pour le salarié, est un événement en lui-même désagréable et souvent traumatisant, ne serait-ce que par la perte de salaire dont elle s'accompagne par définition; elle cause forcément au salarié un préjudice, préjudice que ne compense pas toujours pleinement l'octroi d'un délai de congé ou l'indemnité équivalente à celui-ci. La résiliation, même lorsqu'elle est faite dans les formes les plus respectueuses, inflige au salarié un choc moral ou psychologique sévère, peut affecter sa réputation ou le déroulement de sa carrière et engendre généralement divers inconvénients (obligation de déménager pour se trouver un nouvel emploi, par exemple, ou frais de recherche d'emploi).
[98] La juge Mailhot dans Bristol-Myers Squibb Canada rappelle l'arrêt de principe Standard Broadcasting Corp. c. Stewart qui enseigne que le délai-congé doit compenser généralement les inconvénients causés par le congédiement. Elle écrit :
C’est donc dans les seuls cas où l’exercice du droit de résiliation unilatérale s’accompagne d’une faute caractéristique distincte de l’acte de congédier que l’octroi de dommages moraux en matière de congédiement sans cause sera justifié. Il pourra en être ainsi, par exemple, lorsque l’employé congédié a subi un préjudice sérieux à sa réputation ou qu’il a été congédié de façon humiliante, dégradante ou blessante.
L'employé a donc l'obligation de prouver un acte fautif distinct soit dans la façon où le congédiement a eu lieu ou dans le comportement de l'employeur après celui-ci. Dans la cause qui nous intéresse, la juge Lemelin ne constate aucune preuve d'un tel type:
[100] Il n'y a pas un iota de preuve que des propos dénigrants ou diffamants aient été tenus par des représentants ou cadres de Global. Le départ du demandeur n'a pas été annoncé ou rendu public, si ce n'est par le demandeur lui-même. La preuve établit que plusieurs autres personnes ont quitté Global sous le couvert du même secret ou de la même discrétion.

[101] La décision de mettre fin à l'emploi du demandeur selon M. Rousselle est prise après quelques avertissements de concentrer ses efforts et son temps au recrutement et non aux tâches administratives. M. Lortie n'atteignait pas ses objectifs, il avait été engagé pour aller chercher des conseillers et cette preuve n'est pas contredite. Cette performance avait déjà été remise en cause, comme on peut le lire du courriel deM. Rousselle. Le demandeur n'a pas contesté son congédiement.

[102] Là encore aucune preuve de diffusion dans le domaine de l'industrie ou de propos dérogatoires. De fait, le demandeur continue toujours d'évoluer dans le même secteur d'activité où il côtoie plusieurs anciens collègues. Le demandeur n'a jamais prétendu que son contrat avec Investia est une rétrogradation de statut.

[103] Le congédiement fut immédiat. Les propos du juge Chamberland s'appliquent parfaitement à la preuve faite dans ce litige :
…s'il est vrai que celle-ci [résiliation] fut soudaine et immédiate, ce qui est cependant, faut-il le rappeler, une pratique courante, implicitement permise par l'article 2091 C.c.Q., la preuve ne révèle pas qu'elle se soit accompagnée de comportements trompeurs, mensongers, indûment tracassiers ou grossiers ou qu'elle se soit faite d'une façon qui dénote une insouciance ou une négligence fautive ou déréglée.

Finalement, la Cour formule un commentaire particulièrement intéressant sur la pratique habituelle de plusieurs employeurs de couper immédiatement l'accès des anciens employés au réseau informatique et à leur boîte vocale:
[104] L'omniprésence et l'importance de l'informatique et des modes nouveaux de communication exigent une prudence additionnelle. Il est devenu normal de perdre tous ses accès aux réseaux de l'employeur incluant les boîtes vocales sans nul besoin de douter de la loyauté de l'employé. Pour la même raison, en quittant son emploi volontairement ou autrement, l'employé remet ses clefs et autres cartes d'accès.
Référence : [2010] ABD 49

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