mardi 13 juillet 2010

Le fait pour des employés de planifier l'ouverture d'une entreprise concurrente n'équivaut pas nécessairement à un bris de leur devoir de loyauté

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.
 
Les contributeurs du Blogue vous parle souvent de principes juridiques dont l'étendue est particulièrement difficile à cerner et aujourd'hui ne fait pas exception. En effet, dans Novilco Inc. c. Bouchard (2010 QCCS 3015), la Cour supérieure a été appelée à traiter de la malléable notion de devoir de loyauté.
 
Les faits de l'affaire sont plutôt longs et les questions de droit assez nombreuses, mais, pour les fins de la présente, il suffit de noter que deux employés de la demanderesse ont quitté celle-ci pour fonder leur propre entreprise concurrente. Ceux-ci étaient plus que de simples employés selon la Cour, le premier étant qualifié d'employé-clé par le juge et le deuxième d'employé important. Ni l'un, ni l'autre n'a de contrat d'emploi écrit, de sorte qu'ils ne sont pas liés par une clause de non-concurrence.

La preuve révèle que les employés en question ont planifié le démarrage de leur nouvelle compagnie pendant qu'ils étaient à l'emploi de la demanderesse en raison de leur mécontentement à l'égard de certains changements apportés au sein de l'entreprise. Après leur départ, un employé et quelques clients de la demanderesse les suivent. Bris de leur obligation de loyauté envers la demanderesse? L'Honorable juge Carl Lachance dit non:
[116] Même si la preuve démontre que les démarches pour démarrer l'entreprise Usinage Numérique Plus se sont faites avant le départ de chez Novilco, cette dernière n'a pas réussi à établir un comportement déloyal des défendeurs.  
[117] Les démarches pour démarrer une entreprise concurrente ont été effectuées principalement le soir ou durant des congés accumulés autorisés et ce n'est qu'après le départ de Raynald Bouchard que les opérations d'Usinage Numérique Plus ont commencé, soit au début de mai 2008.

[118] Les défendeurs se sont consacrés à leur travail jusqu'à leur départ. Ils ne l'ont pas négligé. La prestation de travail n'a pas diminué (voir pièce D-1 établissant des semaines de travail de quarante (40) heures et plus). Les défendeurs n'ont fait l'objet d'aucun avis disciplinaire. L'employeur était généralement satisfait de leurs services malgré quelques réprimandes à Raynald Bouchard. Michel Saint-Pierre le reconnaît.
 
[...]
[121] Concernant l'embauche de Dave Beauseigle, une ressource de l'employeur Novilco, la preuve établit la sollicitation par les défendeurs au début d'avril 2008. Cependant, cet employé n'était pas lié par une clause de non-concurrence. Il a quitté Novilco en raison de l'expertise de Raynald Bouchard et de la convivialité des défendeurs.

[122] Cet employé avait parfaitement le droit de choisir de travailler pour l'entreprise de son choix. La preuve ne permet pas de conclure à une sollicitation insistante et systématique. De plus, Dave Beauseigle mentionne avoir « offert ses services » à Raynald Bouchard.

[123] Dans l'affaire Groupe Bocenor, le Tribunal n'a pas retenu de concurrence déloyale et d'attaque commerciale malicieuse à partir du fait que plusieurs employés insatisfaits de leur emploi discutent entre eux et quittent leur employeur.

[124] En l'espèce, la preuve démontre que Raynald Bouchard était insatisfait de la diminution de ses responsabilités, de l'attitude de Michel St-Pierre à son égard et de ses conditions de travail (salaire, perte d'ancienneté). À notre avis, il avait le droit de discuter avec Martin Jalbert et Dave Beauseigle et de leur expliquer son projet. Ces derniers voulaient améliorer leur sort. La sollicitation nous apparaît loyale, considérant les circonstances particulières, en l'espèce, et la liberté de travail nécessaire en société.

Quant à la perte par la demanderesse de certains clients en faveur de la nouvelle entreprise des défendeurs, le juge Lachance souligne qu'on ne peut présumer bris du devoir de loyauté du seul fait que certains clients suivent les anciens employés. En effet, il faut démontrer une sollicitation positive ou des tactiques de dénigrement de l'ancien employeur, ce qui n'a pas été fait en l'instance.

L'on constate donc que la barre est haute et la preuve d'un manquement à l'obligation de loyauté d'un employé loin d'être simple à faire.

Référence : [2010] ABD 30 

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