lundi 5 juillet 2010

Jugement de principe important rendu par la Cour d’appel en matière d’arbitrage

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.
 
La Cour d’appel a rendu, le 21 juin dernier, un jugement de principe important en matière d’arbitrage dans Investissement Charlevoix inc. c. Gestion Pierre Gingras inc. (2010 QCCA 1229). En effet, deux questions ayant une incidence sur bon nombre de recours judiciaires étaient en jeu à savoir :



1. Est-ce qu’une clause compromissoire comportant des exceptions à la juridiction de l’arbitre demeure parfaite au sens du droit civil québécois? et

2. Est-ce que la liquidation d’une compagnie est une matière de droit public au sens de l’article 2639 C.c.Q., laquelle n’est donc pas susceptible d’être soumise à l’arbitrage?

La première question se posait parce que la clause compromissoire négociée entre les parties à l’instance comprenait des exclusions pour les « recours mandatoires et injonctifs », lesquels pouvaient être formulés devant les tribunaux de droit commun. La Cour d’appel, sous la plume de l’Honorable juge Brossard, en vient à la conclusion que la clause compromissoire n’en est pas moins parfaite :
[41] D'entrée de jeu, et ceci dit avec égards, je suis d'avis que la clause compromissoire constitue une clause parfaite, au sens donné à ce terme par la Cour suprême dans l'affaire Zodiac International c. Polish People's Republic, et correspondant en tout point à la notion de convention d'arbitrage définie par le législateur à l'article 2638 C.c.Q.

[42] À la lecture de ces clauses, on constate que le recours à l'arbitrage est obligatoire pour trancher tout litige relatif à la compagnie. Seuls les « recours mandatoire et injonctif » échappent à cette obligation, encore que la réelle signification de l'expression soit quelque peu nébuleuse. La clause compromissoire qui nous concerne n'a rien d'une clause préjudicielle ou d'une clause d'arbitrage préalable ou d'un compromis. Même si elle ne prévoit pas expressément le caractère final et obligatoire de la sentence arbitrale, il est évident que tel est le cas. Toute sentence arbitrale prononcée sous son autorité, une fois homologuée, sera en effet susceptible d'exécution forcée comme le prévoit l'article 946 C.p.c.

[43] Je ne saurais être davantage d'accord avec le juge de première instance qu'un recours en liquidation judiciaire et en dommages puisse être qualifié d'injonctif ou de mandatoire, au seul motif que ses conclusions demandent un certain nombre d'ordonnances qui, par ailleurs, ne visent que la liquidation proprement dite de la compagnie, et non le règlement des débats et conflits entre les parties quant à sa gestion passée, et encore moins les conflits d'interprétation de la convention entre actionnaires concernant la levée d'option d'achat des terrains de Gingras par la Compagnie.
On comprend donc du jugement de la Cour d’appel qu’une clause compromissoire demeure parfaite nonobstant la présence d’exclusions en autant que le recours à l’arbitrage est obligatoire pour les matières couvertes par ladite clause et la sentence rendue définitive.

Quant à la deuxième question, le juge Brossard détermine que la liquidation forcée d’une compagnie n’est pas une question d’ordre public au sens de l’article 2639 C.c.Q., mais qu’elle demeure de la compétence exclusive de la Cour supérieure en raison de l’attribution exclusive de compétence faite en faveur de la Cour dans la Loi sur les liquidations des compagnies :
[64] Bref, il importe peu que la convention d'actionnaires ait conféré à l'arbitre une juridiction exclusive d'entendre un recours en liquidation judiciaire forcée ou encore de déterminer qu'une telle question intéresse l'ordre public. Je suis d'avis que le recours prévu à la Loi sur les liquidations des compagnies en matière de liquidation forcée ne peut être exercé que devant un juge de la Cour supérieure, car aucune convention d'actionnaires ne peut porter atteinte à la compétence conférée à la Cour supérieure aux termes de la Loi sur les liquidations des compagnies, lorsqu'il s'agit d'une liquidation forcée.

[…]

[67] Bref, pour conclure, je suis d'avis que, en l'espèce, le remède d'une liquidation judiciaire sous l'autorité de la Cour supérieure s'impose, alors qu'il n'est pas expressément exclu, loin de là, par la convention entre actionnaires et par le pacte compromissoire, et ce, tant en raison de l'urgence d'une situation qui se détériore depuis plus de sept ans que de l'intérêt des parties elles-mêmes et des tiers. Ceci découle de la juridiction exclusive de la Cour supérieure en matière de liquidation judiciaire, et non pas nécessairement du caractère d'ordre public de ce recours.

Parions que cette décision sera citée à maintes reprises à l’avenir dans les affaires impliquant des clauses d’arbitrage.

Référence : [2010] ABD 23

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