mercredi 19 mai 2010

Prise en paiement des biens d'un failli: changement de cap important de la Cour d'appel

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Chose plutôt rare, la Cour d'appel vient de renverser un courant jurisprudentiel qu'elle avait elle-même créé en matière de droits hypothécaires reliés à une hypothèque légale découlant d'un jugement. Dans une décision importante rendue jeudi dernier sous la plume de l'Honorable juge Dalphond, la Cour est venu confirmer la validité d'une hypothèque légale découlant d'un jugement nonobstant la faillite du débiteur, alors que le bien grevé avait fait l'objet d'une prise en paiement avant la faillite.


Notons d'abord qu'il est bien établi que l'article 70 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la "LFI") rend sans effet l’hypothèque légale découlant d’un jugement (art. 2730 C.c.Q.) qui grève un bien faisant partie du patrimoine du failli. La question qui se posait dans l'affaire 3095-7252 Québec inc. c. Mickeck Jacyno (2010 QCCA 940) était de savoir si ce principe s’appliquait aussi lorsque le bien a fait l’objet d’une prise en paiement peu avant la faillite. Le juge de première instance, l'Honorable Paul G. Chaput, avait répondu par la négative à cette question.

Les faits de l'affaire sont relativement simples. Les intimés avaient obtenus en 2002 un jugement contre la débitrice au montant de 200 000$ et avaient subséquement publié une hypothèque légale découlant de ce jugement en 2003 contre un immeuble lui appartenant. Trois ans plus tard, l'appelante consent un prêt de 300 000$ à la débitrice et obtient, à titre de garantie, une hypothèque sur le même immeuble. Puisque la débitrice fait défaut d'acquitter ses paiements, l'appelante intente des procédures pour la prise en paiement de l'immeuble, lesquelles mènent au prononcé d'un jugement le 27 février 2007 déclarant l'appelante propriétaire de l'immeuble rétroactivement au 24 octobre 2006. Un peu plus de trois semaines plus tard, la débitrice fait cession de ses biens.

L'appelante fait valoir que la faillite de la débitrice emporte la radiation automatique de l'hypothèque légale des intimés (laquelle avait pris rang avant son hypothèque). Cette position semblait avoir un appui solide puisque la majorité de la Cour d'appel avait jugé, dans Union du Canada c. Salvador (1997 CanLII 10580), que le simple fait que le bien soit sorti du patrimoine d'un failli avant la date de faillite ne sauvait pas l'hypothèque légale découlant d'un jugement. La juge Mailhot avait alors écrit ce qui suit:
Pour sa part, Union soutient que l'immeuble en question n'est pas visé par le paragraphe 70 (1). Il ne fait pas partie des « biens du failli », puisqu'il est sorti du patrimoine du failli avant la cession de ses biens et qu'il n'a jamais été réintégré dans le patrimoine. Par conséquent, le paragraphe 70 (1) n'a pas d'application en l'espèce. L'hypothèque judiciaire continuerait donc à produire ses effets, parce que soutient-on, elle a été assumée par l'acheteuse. Sur ce dernier point, je ne puis suivre Union. L'acheteuse a acquis un immeuble affecté d'une hypothèque judiciaire, mais il n'y a pas eu novation de la dette de Lucien Salvador envers Union. Cette dernière, étant devenue créancière chirographaire par la faillite de Lucien Salvador, ne peut plus se prévaloir de l'hypothèque judiciaire enregistrée contre l'immeuble de Longueuil pour garantir sa créance.
Tel que mentionné ci-dessus, le juge de première instance ne suit pas les enseignements de la majorité de la Cour d'appel dans Union du Canada. Il préfère plutôt l'approche de l'Honorable juge Robert, dissident dans cette affaire, et, se basant sur l'article 67 LFI, conclut que l'hypothèque légale continue de produire ses effets puisque l'immeuble ne faisait plus partie du patrimoine du failli à la date de la faillite.

Dans son jugement unanime, la Cour d'appel confirme le raisonnement du juge de première instance et met de côté l'approche qu'elle avait adoptée 13 ans plus tôt. Il s'opère donc un renversement jurisprudentiel important sur la question.

Fait à noter, si la prise en paiement avait été effectuée après la date de la faillite, l'hypothèque légale découlant du jugement eut été radiée automatiquement et l'appelante serait devenue propriétaire de l'immeuble sans qu'il soit grevé d'une quelconque charge. Voilà qui encouragera bien des créanciers hypothécaires à faire preuve de prudence avant de choisir d'avoir recours à la prise en paiement dans l'avenir...

Référence : [2010] ABD 4

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