vendredi 17 septembre 2021

Dans le cadre d’une action collective, le critère de la praticabilité est facilement atteint

par Benjamin Dionne
Renno Vathilakis Inc.

Dans l’arrêt récent Godin c. Aréna des Canadiens inc. (2020 QCCA 1291), la Cour d’appel devait trancher l’appel d’une demande d’autoriser une action collective. Rendant une décision partagée (le juge Schrager étant dissident), les juges Bich et Vauclair autorisent l’action collective.


L’action collective proposée vise une contravention alléguée à la Loi sur les normes de travail eu égard au temps supplémentaire travaillé qui n’aurait pas été payé en raison d’une méthode utilisée de crédits d’heures travaillés variant d’une semaine à l’autre et de leur salaire établi sur une base annuelle.

Le passage le plus intéressant de cet arrêt m’apparaît être la discussion autour du critère de la composition du groupe prévu au paragraphe 575(3) C.p.c. Si généralement ce critère ne pose que peu de questions dans le cadre d’une action collective « classique » (une poursuite au nom de consommateurs, par exemple), la situation en l’espèce s’avérait plus nuancée.

L’action collective s’annonçant être pour le compte d’environ 200 salariés facilement identifiables par l’intimée/défenderesse, la juge de première instance avait conclu que le recours au mandat ou à la jonction d’instance n’était pas difficile ou peu pratique. À plus forte raison, le rôle potentiel de la CNESST comme représentant des salariés apparaît avoir été déterminant pour la juge de première instance.

La Cour d’appel conclut plutôt que la composition du groupe remplie le critère du paragraphe 575(3) C.p.c. Quant au rôle de la CNESST, la Cour d’appel insiste sur le fait que l’existence d’un autre moyen ne saurait empêcher l’action collective, sauf exceptions étroites :
[128] Quant au nombre des personnes visées par la description du groupe, il est certainement pertinent. D’une part – et c’est une évidence –, l’art. 575 C.p.c. (tout comme l’art. 571 d’ailleurs) requiert l’existence d’un « groupe », lequel implique, par définition, la réunion de plusieurs personnes. D’autre part, la taille de ce groupe doit rendre « difficile ou peu pratique / difficult or impracticable » (mais non pas impossible, notons-le) le recours au mandat prévu par l’art. 91 C.p.c. ou à la jonction d’instance prévue par l’art. 210 C.p.c., ce qui suppose ordinairement plus que deux ou trois personnes. Cela dit, il n’est cependant pas obligatoire que le nombre des membres du groupe envisagé se chiffre par milliers.

[129] Selon le mémoire des intimées, le groupe que souhaitent représenter les appelants compterait 192 personnes, tous salariés anciens ou actuels (ce qui ne couvre apparemment pas les salariés embauchés depuis l’institution de la procédure ni, bien sûr, ceux qui seraient engagés après le jugement d’autorisation). Les appelants peuvent peut-être identifier toutes ces personnes (ce qui n’est pas en soi un obstacle à l’action collective), car leur nombre est plus limité que dans d’autres recours, mais les démarches nécessaires pour en obtenir un mandat au sens de l’art. 91 C.p.c. seraient indubitablement laborieuses tout comme le serait la perspective de joindre 192 instances soulevant des questions semblables, comme l’allèguent les appelants dans leur demande d’autorisation et pour les raisons qu’ils y exposent. Le critère du « difficile ou peu pratique » établi par le paragr. 575(3) est rempli. 
[130] Enfin, le fait que les membres du groupe peuvent déposer une plainte auprès de la CNESST et que celle-ci peut, théoriquement, représenter chacun d’eux et instituer une action en son nom n’est pas déterminant, ni même pertinent. L’existence d’un autre moyen de faire valoir la réclamation de chaque membre du groupe ne saurait empêcher l’action collective, sauf exceptions étroites : (1) il s’agit d’une question de compétence ratione materiae (comme ce serait le cas, par exemple, si les membres du groupe proposé par les appelants étaient syndiqués et disposaient donc du recours à l’arbitrage de griefs, qui n’est pas facultatif, mais obligatoire), ou encore (2) si l’action collective a comme seul objet d’invalider des dispositions législatives et réglementaires, notamment pour un motif d’inconstitutionnalité, comme l’explique la juge Thibault dans D'Amico c. Procureure générale du Québec, et qu’elle se révèle donc entièrement inutile puisque l’action déclaratoire (le pourvoi en contrôle judiciaire en nullité) permet d’atteindre le même résultat, avec des effets à l’égard de tous. 
[131] On notera par ailleurs que, dans l’arrêt D’Amico, la juge Thibault souligne bien que « [l]a notion d’utilité n’exige pas que l’action collective soit “le meilleur recours”, mais seulement qu’il existe un avantage quelconque à procéder par rassemblement ». Or, il existe assurément un tel avantage en l’espèce.

Référence : [2021] ABD 371

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