dimanche 6 janvier 2019

Dimanches rétro: les facteurs à prendre en considération dans la fixation du quantum des dommages punitifs

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Vous connaissez tous ma prédilection pour les jugements qui récapitulent une question de droit donnée. C'est pourquoi dans le cadre des Dimanches rétro de cette semaine nous attirons votre attention sur l'affaire Markarian c. Marchés mondiaux CIBC inc. (2006 QCCS 3314) où l'Honorable juge Jean-Pierre Sénécal passait en revue les facteurs à prendre en considération pour déterminer le quantum approprié pour des dommages punitifs.


Pour nos fins, la trame factuelle importe peu. Retenons simplement qu'il s'agissait d'un litige complexe dans le cadre duquel les Demandeurs réclamaient des dommages en remboursement des sommes qui avaient été prises dans leurs comptes de courtage par CIBC en exécution de «garanties» qu’ils auraient consenties en faveur d'autres comptes.

Les Demandeurs faisaient valoir qu’ils n’avaient jamais consenti de telles garanties, qu’ils ont été victimes de fraude de la part de leur conseiller en placement chez CIBC et que c’est en toute connaissance de cette situation que CIBC les a dépouillés de leurs avoirs.

Le juge Sénécal accueille l'action et en vient à la conclusion que l'attribution de dommages punitifs est appropriée. Il se penche alors sur les facteurs qui doivent guider son analyse:
[659] Le montant des dommages punitifs imposés doit simplement avoir un lien rationnel avec les buts poursuivis par de tels dommages. Il doit par ailleurs tenir compte des facteurs pouvant être pris en considération dans la détermination du quantum. 
[660] Certains de ces facteurs sont énumérés à l’article 1621 C.c.Q. Il s’agit de :
➢ la gravité de la faute du débiteur ; 
➢ la situation patrimoniale du débiteur ; cela s’inspire de l’idée que «pour que les dommages-intérêts punitifs soient utiles, ils doivent faire mal» ; cela dépend essentiellement de la situation du débiteur ; ainsi que l’exprime la Cour suprême, «pour rappeler à un défendeur riche et puissant ses responsabilités, il faut […] frapper […] plus fort» ; il ne faut pas non plus que les dommages punitifs «soient assimilés à des frais de permis ou d’exploitation», c’est-à-dire que moyennant un simple paiement on puisse faire n’importe quoi ; bien que ces énoncés se retrouvent dans un arrêt rendu sous l’empire de la common law, qui ne représente évidemment pas l’état du droit au Québéc, dans la mesure où le Code Civil retient ce même facteur, les propos de la Cour suprême résument bien l'idée sous-jacente ; 
➢ l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, c’est-à-dire l’indemnisation déjà accordée pour le préjudice moral et matériel ; 
➢ la prise en charge du paiement réparateur par un tiers, en tout ou en partie.
[661] L’énumération des facteurs que l’on retrouve à l’article 1621 n’est pas limitative ainsi qu’on le voit du texte même du deuxième alinéa. Celui-ci énonce clairement que le tribunal doit «tenir compte de toutes les circonstances appropriées», donc non seulement de ce qui est énuméré à l’article 1621. D’autre part, l’énumération est précédée du mot «notamment». 
[662] Eu égard aux impératifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation des dommages punitifs, parmi les autres facteurs qui peuvent être pris en considération pour en déterminer le quantum il y a :
➢ la durée de la conduite répréhensible et sa persistance ; 
➢ le niveau hiérarchique d’où a émané la conduite répréhensible, lorsqu’il s’agit d’une entreprise ; 
➢ la motivation de la conduite répréhensible ou, au contraire, l’absence d’explications à cet égard ; 
➢ la reconnaissance de ses torts par le défendeur ; 
➢ le fait qu’il s’agisse d’un geste isolé ou, au contraire, qui se répète ou même qui est une façon habituelle d’agir ; 
➢ le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou ait tenté de la dissimuler ; 
➢ la vulnérabilité intrinsèque de la victime : âge, situation financière (si celle-ci a été exploitée par le défendeur), etc. ; 
➢ la vulnérabilité relative de la victime par rapport à l’auteur du préjudice ; cela inclut la prise en compte de l’inégalité du rapport de force, y compris les ressources, entre la victime et l’auteur du préjudice, en somme de la position dominante de l’un par rapport à l’autre ; 
➢ le type de relation entre la victime et l’auteur du préjudice ; par exemple, existait-il un lien de confiance particulier entre les deux ; 
➢ les obligations du défendeur envers la victime ; 
➢ les engagements du défendeur envers la victime ; 
➢ le préjudice causé, qui est le pendant de la gravité de la faute du défendeur ; cela, même si les dommages punitifs n’ont rien à voir avec les dommages compensatoires ;  
➢ le fardeau supporté par la victime au niveau des procédures ; non pas en termes financiers, mais comme partie des difficultés et responsabilités assumées par la victime dans la poursuite de sa démarche, laquelle a en définitive un objectif préventif essentiellement social ; 
➢ les mises en garde de la victime envers l’auteur du préjudice quant aux sanctions qui seront éventuellement réclamées contre lui s’il ne modifie pas son comportement ou ses agissements, dans la mesure où le fait de ne pas tenir compte des mises en garde peut démontrer obstination, acharnement et mauvaise foi ; 
➢ les avantages ou bénéfices tirés par le défendeur de sa conduite répréhensible ou qu’il a tenté d’obtenir ; 
➢ les autres amendes ou sanctions infligées au défendeur par suite de sa conduite répréhensible.
[663] Le coût des frais et honoraires extra-judiciaires ne peut plus être pris en compte dans l’établissement des dommages punitifs puisque la Cour d’appel a établi des règles précises pour qu’ils puissent être accordés, ce qui implique qu’ils doivent l’être de leur propre chef.
Référence : [2019] ABD Rétro 1

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