mardi 25 avril 2017

N'a pas l'intérêt juridique requis pour réclamer le remboursement d'investissements, la personne autre que celle qui a avancé les fonds

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

L'intérêt pour agir en droit civil québécois n'est pas une question de procédure, mais bien une condition substantive essentielle à la validité d'un recours judiciaire. C'est pourquoi n'a pas l'intérêt juridique requis pour réclamer le remboursement d'investissements, la personne autre que celle qui a avancé les fonds. C'est ce que confirme la décision rendue par l'Honorable juge Lucie Fournier dans l'affaire Werzcberger c. Kaufman Laramée (2017 QCCS 1489).



Dans cette affaire, le Demandeur réclame des dommages au montant de 750 000$ pour des pertes d'investissement par l'intermédiaire d'un avocat qui oeuvrait au sein de l'étude juridique Défenderesse. Le Demandeur allègue que cette dernière aurait commis une faute en l'induisant en erreur, en l’incitant à faire confiance à cet avocat et en ne prenant pas les mesures appropriées pour s’en dissocier.

La Défenderesse présente une requête en rejet d'action fondée sur les articles 51 et suivants C.p.c. au motif que l'action est manifestement mal fondée. Elle soumet que le Demandeur n'est pas celui qui a investi les fonds pertinents, de sorte qu'il n'a manifestement pas l'intérêt pour intenter le recours.

Après analyse, la juge Fournier donne raison à la Défenderesse. La revue de la preuve - dont les transcriptions de l'interrogatoire du Demandeur - la convainc que les fonds investis n'étaient pas ceux du Demandeur, de sorte que celui-ci n'a pas l'intérêt requis pour prendre le recours:
[22]  De son côté, M. Werzcberger fait valoir qu’il devait ces sommes à des tiers, peu importe de qui elles provenaient. Selon lui, le passif qui en résulte dans son patrimoine constitue son préjudice personnel et son intérêt à obtenir compensation. Il ajoute qu’il ne peut perdre son droit parce qu’il ne peut justifier la provenance des fonds. 
[23] En l’espèce, la question est toute autre. M. Werzcberger ne démontre aucun préjudice bien qu’il allègue une faute contractuelle à son égard. Cette faute alléguée de Kaufman à son égard est celle d’avoir laissé croire que M. Perras était l’un de ses associés, ce qui l’aurait incité à avoir confiance et à déposer des sommes importantes en fidéicommis auprès de M. Perras. Même s’il s’agissait d’une faute, ce que le Tribunal ne dit pas, M. Werzcberger démontre que trois transactions sont intervenues par lesquelles des tiers ont versé des sommes à M. Perras qui ne leur ont pas été remboursées. 
[24] Quant aux deux premières transactions, M. Werzcberger ne soulève aucun préjudice. Dans la troisième transaction, il réclame 300 000 $ pour une transaction où il n’est pas partie et pour laquelle il n’a pas investi.  
[25]        M. Werzcberger n’établit pas que sa demande se justifie en droit.  
[26]        Lorsque le Tribunal doit décider sommairement du droit des parties, comme il est appelé à le faire dans le cadre d’une demande selon l’article 51 C.p.c., si le dossier démontre à sa face même l’absence de chance de succès, l’absence de lien de droit et de préjudice, comme en l’espèce, on doit y mettre un terme immédiatement et éviter de poursuivre inutilement un recours, car la preuve lors du procès ne pourrait suppléer aux lacunes de la demande.  
[27]  À cet égard, il y a lieu de rappeler les propos de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux saisie d’une demande en irrecevabilité : 
[16]      Pour cette raison, l’application du par. 165(4) C.p.c. favorise une gestion saine et efficace des ressources judiciaires. Pour reprendre les propos de la juge en chef McLachlin, le pouvoir que possèdent les tribunaux de rejeter les recours au stade préliminaire « constitue une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l’efficacité et à l’équité des procès. Il permet d’élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l’instruction des demandes susceptibles d’être accueillies » (R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 45, par. 19; voir aussi Morier c. Rivard, 1985 CanLII 26 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 716, p. 745-746).  
[17]      Le rejet d’une action au stade préliminaire peut toutefois entraîner de très sérieuses conséquences. Les tribunaux doivent pour cette raison faire preuve de circonspection dans l’exercice de ce pouvoir. Dans ce contexte, seule une absence claire et manifeste de fondement juridique mènera au rejet d’une action à cette étape des procédures (Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308 (CanLII), par. 17; Ville de Hampstead c. Jardins Tuileries Ltée, 1991 CanLII 3170 (QC CA), [1992] R.D.J. 163 (C.A.); Cheung c. Borsellino, 2005 QCCA 865 (CanLII); Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec inc. c. Société d’habitation et de développement de Montréal, 2011 QCCA 1033 (CanLII)).  
(nos soulignements) 
[28]        En l’espèce, la mesure recherchée par Kaufman doit être accueillie pour éviter de maintenir et poursuivre un recours manifestement mal fondé.
Référence : [2017] ABD 164

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