vendredi 30 octobre 2015

La dépendance économique ou l'erreur d'appréciation économique ne sont pas des vices de consentement reconnus en droit québécois

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Quand on parle de consentement libre et éclairé en droit contractuel québécois, il faut faire attention de ne pas confondre cette notion avec une liberté d'action totale. En effet, ce n'est pas parce qu'on est parfois dans une position désavantageuse et que l'on peut se sentir forcé de signer un contrat que l'on peut invoquer un vice de consentement. À titre d'illustration, dans l'affaire Allaire c. Canada (Procureur général) (2015 QCCS 5005), l'Honorable juge Clément Samson indique que la partie qui s'est sentie forcé de signer une entente en raison de son état de pauvreté ne peut faire valoir son absence de consentement valable pour autant.



Dans cette affaire, le juge Samson est saisi de requêtes en irrecevabilité des Défendeurs, lesquelles demandent le rejet d’une action en dommages intentée par le Demandeur. Ils allèguent - entre autres moyens - que le recours du Demandeur ne peut réussir puisqu'il nécessite une déclaration de nullité à l'égard d’une transaction à laquelle il a consenti.

C'est dans ce contexte que le juge Samson analyse la question du vice allégué de consentement. Il note à cet égard qu'on ne peut plaider la dépendance économique et l'état de nécessité pour justifier l'annulation d'un contrat auquel on a consenti:
[70]        La première erreur que le demandeur allègue n’a pas trait à la transaction à proprement parler. Lorsqu’il a signé la transaction, le demandeur n’était plus représenté par avocat alors qu’il aurait requis les services d’avocat. Peu importe. Il comprenait bien le sens du document sur lequel il apposait sa signature. 
[71]        Le demandeur allègue un certain état de pauvreté et avoir eu besoin d’argent, ce pourquoi il aurait signé la transaction afin de rapidement toucher une somme de 11 250 $. Cela n’est pas une erreur, une absence de consentement ou une incapacité. Si nous pensons à la crainte de ne pas être rebranché par Hydro-Québec, cette crainte n’est pas celle qui a trait au consentement. La question que le Tribunal doit se poser est la suivante : « Le demandeur a-t-il compris ce qu’il signait et l’a-t-il fait sous l’effet de la menace? » 
[72]        La menace de ne pas avoir assez d’argent à la fin du mois pour payer l’électricité n’est pas recevable pour demander pareille annulation d’une transaction judiciaire. Permettre tel motif remettrait en cause tantôt des contrats de consommateurs, tantôt des ententes commerciales de tous ordres. 
[73]        L’autre motif équivaut à dire que le demandeur trouve a posteriori inéquitable le montant reçu. Sur cet aspect, la Cour d’appel, dans l’arrêt Martineau, Provencher et Associés Ltée c. Martineau, rejette ce motif rappelant qu’une transaction est un mode de règlement d’un conflit dont les motifs d’annulation sont limités et l’iniquité n’en fait pas partie : 
« (96) … Mais, comme je le signalerai plus loin, cet abus de la part de Martineau n'est pas une cause d'annulation de la transaction. À tous les jours des créanciers acceptent moins que ce qui leur est dû pour éviter des procédures judiciaires. Après avoir reçu partiellement ce à quoi ils croient avoir droit, ces créanciers ne peuvent plus, à loisir et à leur aise, faire fi de la transaction et poursuivre leurs débiteurs pour obtenir le solde de ce qu'ils croyaient leur être dû. Et un tribunal ne peut annuler une transaction au motif qu'a posteriori, on peut dire qu'en la faisant une partie a été lésée. » 
[74]        Les motifs allégués « d’erreur d’appréciation économique » pour demander la nullité de la transaction, même s’ils étaient prouvés, ne sont pas recevables pour en venir aux conclusions recherchées. 
[75]        Ni la contrepartie reçue ni le motif de signer la transaction pour encaisser rapidement de l’argent ne sont des motifs recevables pour demander l’annulation de la transaction.
Cette décision rappelle ainsi que la lésion entre majeurs n'existe pas en droit contractuel général québécois (i.e. autre que le droit de consommation).

Référence : [2015] ABD 432

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