samedi 21 mars 2015

Par Expert: la possibilité pour un expert de fonder son opinion sur des faits qui ne sont pas encore en preuve

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous en avons déjà discuté à quelques reprises: le témoignage de l'expert est régi par des règles de preuve beaucoup plus souples. Il peut baser son opinion sur du ouï-dire par exemple. Comme le souligne l'affaire Systemex Energies inc. c. Groupe Enerstat inc. (2015 QCCS 1038), il peut également fonder son opinion sur des faits qui ne sont pas encore en preuve, quoique la force probante de l'expertise sera affectée si ces faits ne sont jamais finalement prouvés devant la Cour.
 


Dans le cadre d'un recours en nullité de contrat pour cause d'erreur, l'Honorable juge Yves Poirier est saisi d'une objection au témoignage d'un expert au motif que ce témoignage est fondé en partie sur des faits qui ne sont pas en preuve.
 
Le juge Poirier rejette cette objection et souligne qu'un expert est admis à procéder ainsi, sous réserve du fait que si les faits en question ne sont jamais prouvés devant la Cour la force probante de son expertise sera affectée et peut-être même anéantie:
[48]      Le procureur de Bilodeau prétend que la preuve de l’expert M. Bellerose doit être rejetée, puisqu’elle repose sur du ouï-dire et la prépondérance de cette preuve ne permet pas de maintenir les conclusions du rapport d’expertise de M. Bellerose. 
[49]      Les tribunaux ont depuis longtemps reconnu que le témoignage de l’expert est recevable sur la base de faits qui n’ont pas encore été établis au moment où il témoigne.  Ces faits exposés par l’expert doivent être établis par d’autres témoins ou documents mis en preuve légalement, sans quoi, ces faits constituent du ouï-dire et le rapport de l’expert et son témoignage sont affectés et possiblement rejetés, faute de valeur probante : 
«[…] cependant, c'est à tort que le juge a tenu pour prouvés les faits sur lesquels les médecins s'étaient fondés pour former leurs opinions. Bien qu'on ne conteste pas le droit des experts médicaux de prendre en considération tous les renseignements possibles pour former leurs opinions, cela ne dégage en aucune façon la partie qui produit cette preuve de l'obligation d'établir, au moyen d'éléments de preuve régulièrement recevables, les faits sur lesquels se fondent ces opinions. Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion […]» 
[50]      Le procureur de Bilodeau soumet que le cosignataire du rapport d’expertise (Philippe Bellerose) n’a pas témoigné.  Seul Michel Bellerose a témoigné.  Ce dernier reconnait que son fils a procédé à des tests, mesurages et calculs afin de réaliser les diagrammes apparaissant au rapport d’expertise.  En conséquence, il y a absence de preuve relativement aux faits et gestes rapportés par Michel Bellerose, mais posés par Philippe Bellerose, ce qui constitue du ouï-dire.  Cette prétention du procureur de Bilodeau doit être rejetée.  L’expert qui rédige un rapport d’expertise fait siens les calculs, expériences, tests et observations faites par son personnel et autres sociétés ou laboratoires qui fournissent les équipements ainsi que le personnel nécessaire à la confection des données techniques et intrinsèques à l’expertise.  Cette prise en charge de ces éléments à son rapport d’expertise par l’expert n’a pas à être étayée par les témoignages des spécialistes retenus par lui afin de lui permettre de conclure sur les bases de son domaine d’expertise, son expérience et de ses compétences techniques ou scientifiques dans son rapport et son témoignage.  Ces spécialistes et techniciens ainsi que les calculs et théorèmes sont sous sa responsabilité.  L’expert met en jeu sa crédibilité sur l’exactitude des travaux exécutés sous sa supervision et les théories exposées. 
[51]      Exiger les témoignages des techniciens, scientifiques ou autres spécialistes qui soutiennent les prétentions intrinsèques de l’expertise, aurait pour effet d’annihiler le bénéfice du témoignage de l’expert qui assume d’une part une connaissance scientifique empirique dont il en atteste et d’autre part, la compétence et la qualité des intervenants scientifiques sur lesquels il s’appuie, afin de remettre son rapport et communiquer sa connaissance.
Référence : [2015] ABD Expert 12

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