mardi 3 février 2015

Le privilège relatif au litige est opposable au syndic de la chambre de l'assurance dommages

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons déjà souligné les enseignements de la Cour suprême quant à la distinction à faire entre le secret professionnel et le privilège relatif au litige. Dans l'affaire Lizotte c. Aviva, compagnie d'assurances du Canada (2015 QCCA 152), la Cour d'appel devait trancher l'épineuse question de savoir si le privilège relatif au litige - comme le secret professionnel - est opposable au syndic de la Chambre de l’assurance dommages. La Cour répond par l'affirmative à cette question.



Dans cette affaire, la Cour était saisie de la question de l’opposabilité du privilège relatif au litige et du secret professionnel à une demande de communication de renseignements et de documents que le syndic de la Chambre de l’assurance dommages présente à un assureur, dans le cadre d’une enquête sur la conduite d’un expert en sinistre, aux termes de l’article 337 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers.
 
En effet, l'Appelante - si elle concède que le secret professionnel lui est opposable - fait valoir que le privilège relatif au litige ne protège qu’un intérêt purement privé et qu'il doit céder le pas devant l’intérêt public supérieur que constitue sa mission d’enquêter au sujet de la conduite professionnelle de ses membres afin d’assurer la protection du public.

Dans une décision unanime, les Honorables juges Bich, St-Pierre et Gagnon sont d'avis que la position de l'Appelante doit être mise de côté. En l'absence d'un texte législatif clair qui distingue entre le secret professionnel et le privilège relatif au litige, rien ne justifie d'écarter le deuxième puisqu'il répond du même impératif que le premier:
[25]        Bien que l’appelante ait raison de soutenir qu’il faut distinguer conceptuellement le privilège relatif au litige du privilège avocat-client (du secret professionnel), notamment en ce que le premier peut exister autrement que dans le contexte de la relation avocat-client, la distinction ne change pas pour autant le fait que le privilège relatif au litige et le secret professionnel « servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit » et qu’on ne peut soutenir, comme le fait l’appelante, que le privilège relatif au litige ne vise qu’à protéger des intérêts purement privés. 
[26]        Dans l’arrêt Blank, malgré la différence conceptuelle rappelée, le juge Fish écrit : 
27        Par ailleurs, le privilège relatif  au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client.  Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle‑ci et des tiers.  Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client.  Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.  
31        Bien que distincts d’un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit.  En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre.  Cependant, le fait de considérer le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique comme deux composantes d’un même concept tend à en occulter la vraie nature.  
41        […] Dans chaque cas, la durée et la portée du privilège relatif au litige sont circonscrites par son objet sous‑jacent, soit la protection essentielle au bon fonctionnement du processus contradictoire.  
49        […] La distinction établie entre le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige n’exclut pas la possibilité qu’ils se chevauchent dans le contexte d’un litige.  
[Soulignements ajoutés.] 
[27]        Quant au juge Bastarache, il y écrit : 
71        Interpréter l’art. 23 de la Loi sur l’accès comme incluant implicitement le privilège relatif au litige est la solution la plus appropriée parce que, de fait, ce privilège a toujours été considéré comme une composante du secret professionnel de l’avocat.  Comme mon collègue le reconnaît dans ses motifs, au par. 31, « [b]ien que distincts d’un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit.  En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre. » 
[28]        L’appelante a aussi raison de plaider qu’aucun privilège n’est absolu, pas même le secret professionnel. La question pertinente n’est donc pas celle du caractère absolu ou non du privilège relatif au litige, mais plutôt celle portant sur les conditions aux termes desquelles, le cas échéant, il doit céder le pas à autre chose. 
[...] 
[31]        Dans les affaires Air Canada, State Farm, Magnotta Winery et TransAlta, la Cour fédérale, la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Alberta se sont penchées sur la question. Dans toutes ces affaires, alors qu’elles étaient saisies de situations de refus de communication de renseignements ou de documents fondés sur le privilège relatif au litige, ou, dans le cas de la Cour d’appel de l’Ontario, sur le « settlement privilege », ces cours ont retenu que le privilège ne pouvait être écarté, à l’instar du secret professionnel, qu’en présence d’un texte clair et explicite à cette fin. 
[32]        Dans TransAlta, sous la plume de l’honorable C.D. O’Brien, la Cour d’appel de l’Alberta écrit : 
[36]      Moreover, even if solicitor-client privilege, as described in section 50, does not include litigation privilege, it was still open to TransAlta to resist production of records on the basis of litigation privilege. I interpret section 50 as being procedural in nature, designed to provide a convenient process for determining whether claims for solicitor-client privilege have been properly made. I do not interpret section 50 as excluding claims for litigation privilege, or for any other privilege recognized at common law. While I acknowledge that litigation privilege enjoys a lesser status than legal advice privilege, and is therefore subject both to legislative and judicial limitation, I think it most unlikely that the Legislature would have intended to remove the right to claim litigation privilege simply by not employing that specific term in a procedural provision dealing generally with claims made for solicitor-client privilege. If that were the intended result, I think the Legislature would have said so in express and clear language. While the reach of the MSA must be large, to ensure it can fulfill its watchdog functions, I would not deny investigated parties the right to claim litigation privilege without clear and explicit legislative language to that effect.  
[37]      I share the view of the Ontario Court of Appeal, as expressed in Ontario (Liquor Control Board) v Magnotta Winery Corp, 2010 ONCA 681 (CanLII), 270 OAC 55, in that case in relation to common law settlement privilege:  
Further, based on recent judgments of the Supreme Court of Canada, I understand that fundamental common law privileges, such as settlement privilege, ought not to be taken as having been abrogated absent clear and explicit statutory language: see Canada (Privacy Commissioner) v Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 (CanLII), [2008] 2 SCR 574 (SCC), at para. 11 and R. v. Lavallee, Rackel & Heintz, 2002 CSC 61 (CanLII), [2002] 3 SCR 209 (SCC), at para. 18. While both of these cases relate to solicitor-client privilege, many of the same considerations apply to settlement privilege. Section 19 does not contain express language that would abrogate settlement privilege. Accordingly, in my view, it ought not to be so interpreted, (para 38).
[Soulignements ajoutés.] 
[33]        Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Ainsi, puisque l’article 337 LDPSF n’écarte pas expressément le secret professionnel ou le privilège relatif au litige, ils sont opposables au syndic qui présente la demande.
 
Référence : [2015] ABD 47

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