par Kloé Sévigny
ParajuristeGuertin, société d'avocats s.e.n.c.r.l.
La
Cour suprême a récemment eu l’occasion de se pencher sur la question de
l’obligation générale de bonne foi pouvant exister entre les parties à un
contrat, mais cette fois sous l’égide de la common law. La
décision Bhasin c. Hrynew (2014 CSC 71), rendue le
13 novembre dernier, est, factuellement, relativement simple. Monsieur Bhasin
détenait une agence de souscription de produits financiers de type REEE en
Alberta pour le compte de la société Canadian
American Financial Corp. (ci-après « Can-Am »). Suivant la mise en œuvre plutôt douteuse
d’une clause de non-renouvellement incluse à l’entente contractuelle liant les
parties, Monsieur Bhasin s’est trouvé sans entreprise et sans compensation.
La
Cour du banc de la Reine de l’Alberta, sous la plume de l’honorable Moen, a
conclu que «le contrat renfermait une clause implicite selon laquelle les
décisions de renouveler ou non un contrat devaient être prises de bonne
foi ». Par conséquent, les agissements des intimés constituaient une
violation de cette obligation implicite et des dommages et intérêts ont donc
été accordés à Monsieur Bhasin.
En
appel, la Cour d’appel a plutôt rejeté cette conclusion en fondant
principalement son jugement sur le fait que le contrat, lequel ne comportait
pas de clause ambigüe, prévoyait une clause « d’intégralité de
l’entente », ce qui excluait toute forme d’ajout de clause dite
« implicite » aux termes contractuels négociés entre les parties. Pour
sa part, la Cour d’appel concluait « qu’il ne saurait y avoir de condition
implicite dans le cas où celle-ci va à l’encontre d’une condition expresse du
contrat ». La Cour a également soulevé le fait que les procédures de
Monsieur Bhasin n’étaient pas suffisantes à cet effet. Vu ces conclusions, la
Cour a infirmé le jugement de première instance.
Les
questions principales soulevées par le pourvoi de l’appelant Bhasin sont les
suivantes :
1) La
common law canadienne impose-t-elle aux parties à un contrat une obligation
d’honnêteté dans l’exécution du contrat?
2) Dans
l’affirmative, l’un ou l’autre des intimés a-t-il manqué à cette obligation?
La
Cour a répondu par l’affirmative à ces deux questions pour les motifs qui
suivent.
Une
nouvelle obligation générale de bonne foi
La
Cour débute son analyse du droit en rappelant que la notion de bonne foi est
une notion très profondément ancrée dans notre système de droit, mais que la common
law canadienne s’était refusée jusqu’alors à reconnaître un principe plus large
et indépendant s’appliquant au domaine contractuel.
La
Cour, sous la plume de l’honorable Cromwell, en vient à la conclusion, non sans
une complète et exhaustive analyse des précédents jurisprudentiels et
doctrinaux issus de la common law et des règles de droit provenant de divers
systèmes juridique, incluant le Québec et les États-Unis, qu’une nouvelle
« obligation générale d’honnêteté applicable à l’exécution des
contrats » devait s’inscrire dans le cadre du principe directeur de bonne
foi qui implique que les parties doivent exécuter leurs obligations
contractuelles de manière honnête et raisonnable, sans arbitraire.
L’avancement
de la common law
La
Cour a statué que « le temps était venu de prendre deux mesures
progressives en vue de rendre la common law moins incertaine et fragmentaire et
plus cohérente et équitable ». Ces mesures se résument par le fait de,
premièrement, « reconnaître que l’exécution de bonne foi des contrats
constitue un principe directeur général de la common law en matière de contrats
qui sous-tend et détermine les diverses règles où la common law, dans diverses
situations et divers types de relations ». Dans un second temps, il s’agit
de reconnaître l’existence de l’obligation d’exécuter les contrats de bonne foi
et finalement, de reconnaître, comme manifestation supplémentaire du principe
directeur de bonne foi, l’existence d’une obligation en common law, applicable
à tous les contrats, d’agir honnêtement dans l’exécution des obligations
contractuelles.
L’avancement
recherché tend à corriger certaines lacunes existantes en common law, notamment
le fait que cette dernière est actuellement incertaine en matière
contractuelle, que l’approche visant la bonne foi n’est pas cohérente dans son
ensemble, que le droit actuel semble faire fi des attentes contractuelles des
parties à une entente commerciale, notamment lorsque des joueurs étrangers y
sont impliqués, et que finalement, les changements et ajustements proposés ne
pourront certes régler tous les problèmes, mais apporteront sans nul doute une
forme d’uniformité et de stabilité qui rendra le droit plus conforme aux
attentes raisonnables des parties à une telle entente.
Ainsi,
la Cour a réaffirmé son rôle et sa mission visant l’évolution du droit et de la
common law dans le respect des normes législatives et des précédents établis.
Le
principe directeur de bonne foi
Reconnaissant
et réaffirmant le principe directeur de la bonne foi, la Cour rappelle que
l’approche recherchée est celle du principe directeur prépondérant tout en
acceptant que des règles de droit existantes puissent servir de guide pour
préciser le droit par la suite.
Le
principe directeur établi en termes généraux constitue une exigence de justice à
laquelle il est possible d’inférer des règles de droit qui elles, pourront être
plus particulières. Ce mécanisme est d’ores et déjà reconnu par la Cour
suprême. Ce faisant, le principe directeur de bonne foi n’est pas une règle de
droit autonome, mais bien une norme générale qui sous-tend différentes règles de
droit plus spécifiques selon divers degrés d’importance.
Puisque
plaidé par les intimés, la Cour rappelle que le fait de conjuguer le principe
directeur de bonne foi à l’approche visant l’établissement du droit par les
règles existantes ne compromettra en rien la stabilité contractuelle dans les
contrats commerciaux. Bien au contraire, il serait plutôt surprenant de penser
et d’inférer que les parties à une entente commerciale donneraient leurs
accords à une convention prévoyant à l’avance que celles-ci ne sont pas tenues
d’agir avec honnêteté!
L’application
du principe directeur de bonne foi dans le cadre de relation contractuelle
soumise à des règles de droit existantes ne saurait se faire que de manière
graduelle, en tenant compte de la structure du droit des contrats en common law
et en tenant compte des choix personnels des parties dans le cadre de la
négociation commerciale.
La
clause d’intégralité de l’entente
Quant
à l’impact d’une clause d’intégralité de l’entente, comme en l’instance, la
Cour rappelle que la nouvelle obligation générale d’honnêteté ne constitue pas
une condition implicite du contrat, mais bien une doctrine générale du droit
des contrats agissant à titre de norme minimale d’exécution. Par conséquent,
malgré la présence d’une telle clause dans l’entente des parties, cela ne
constituerait pas un obstacle à l’application de l’obligation générale
d’honnêteté, cette dernière n’étant pas une condition implicite et ne pouvant
donc être exclue par les parties.
Les
principes dégagés du droit civil du Québec
L’existence
de l’obligation générale de bonne foi est ancrée très profondément dans le
système de droit civil québécois, cela est incontestable et de nombreuses
décisions en font état.
Élaborant
son analyse, la Cour rappelle que le système de droit québécois, de même que
celui des États-Unis, reconnaît l’obligation générale de bonne foi sans que
pour autant la stabilité contractuelle et la liberté contractuelle ne soient
ébranlées.
D’ailleurs,
la Cour relève deux aspects importants de l’obligation de bonne foi existante
en droit civil québécois. Le premier étant de nature subjective et visant
l’état d’esprit de l’acteur dans son ensemble en tentant de déceler les
intentions malicieuses ou intentionnelles. Le second étant de nature objective
et visant la qualification de la conduite de l’acteur en regard de la personne
raisonnable. La notion de bonne foi implique nécessairement une exigence
d’honnêteté minimale.
Le
sort du pourvoi
En
l’instance, la Cour suprême a maintenu, en partie, les conclusions de première
instance et confirmé que Can-Am
avait violé son obligation générale d’honnêteté, violation résultant du
comportement répréhensible de cette dernière envers Monsieur Bhasin dans le
cadre de l’application de la clause de non-renouvellement et des raisons
sous-jacentes à cette application, entraînant pour l’appelant des dommages. La
Cour a toutefois retiré toutes les conclusions visant Monsieur Hrynew, un autre
intimé, en raison de l’absence de preuve de la violation ou du complot civil
pouvant l’impliquer dans la violation de l’obligation d’honnêteté de Can-Am.
Rappel
des principes établis et réaffirmés
L’honorable
Cromwell conclut comme suit son jugement :
« [92] Je conclus qu’à ce stade de l’évolution
de la common law au Canada, l’ajout d’une obligation générale d’honnêteté en
matière d’exécution contractuelle constitue une mesure progressive appropriée,
tout en reconnaissant que le principe directeur de la bonne foi, de portée plus
large, doit pouvoir continuer d’évoluer en fonction de la même approche
judiciaire progressive.
[93] Il convient ici de
résumer ces principes :
1) Il existe un
principe directeur général de bonne foi sous-jacent à de nombreux aspects du
droit des contrats.
2) De façon générale,
il est possible de dégager les incidences particulières de l’application du
principe général à des cas précis en s’appuyant sur l’ensemble de la doctrine
qui a été élaborée et qui donne effet aux aspects de ce principe dans des types
particuliers de situations et de relations.
3) Il convient de
reconnaître une nouvelle obligation en common law qui s’applique à tous les
contrats en tant que manifestation du principe directeur général de bonne foi :
une obligation d’exécution honnête qui oblige les parties à faire preuve
d’honnêteté l’une envers l’autre dans le cadre de l’exécution de leurs
obligations contractuelles. »
Référence : [2014] ABD 458
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