lundi 17 novembre 2014

De bonne foi tu seras…partout au Canada!

Parajuriste
Guertin, société d'avocats s.e.n.c.r.l.

La Cour suprême a récemment eu l’occasion de se pencher sur la question de l’obligation générale de bonne foi pouvant exister entre les parties à un contrat, mais cette fois sous l’égide de la common law. La décision Bhasin c. Hrynew (2014 CSC 71), rendue le 13 novembre dernier, est, factuellement, relativement simple. Monsieur Bhasin détenait une agence de souscription de produits financiers de type REEE en Alberta pour le compte de la société Canadian American Financial Corp. (ci-après « Can-Am »). Suivant la mise en œuvre plutôt douteuse d’une clause de non-renouvellement incluse à l’entente contractuelle liant les parties, Monsieur Bhasin s’est trouvé sans entreprise et sans compensation.



La Cour du banc de la Reine de l’Alberta, sous la plume de l’honorable Moen, a conclu que «le contrat renfermait une clause implicite selon laquelle les décisions de renouveler ou non un contrat devaient être prises de bonne foi ». Par conséquent, les agissements des intimés constituaient une violation de cette obligation implicite et des dommages et intérêts ont donc été accordés à Monsieur Bhasin.

En appel, la Cour d’appel a plutôt rejeté cette conclusion en fondant principalement son jugement sur le fait que le contrat, lequel ne comportait pas de clause ambigüe, prévoyait une clause « d’intégralité de l’entente », ce qui excluait toute forme d’ajout de clause dite « implicite » aux termes contractuels négociés entre les parties. Pour sa part, la Cour d’appel concluait « qu’il ne saurait y avoir de condition implicite dans le cas où celle-ci va à l’encontre d’une condition expresse du contrat ». La Cour a également soulevé le fait que les procédures de Monsieur Bhasin n’étaient pas suffisantes à cet effet. Vu ces conclusions, la Cour a infirmé le jugement de première instance.

Les questions principales soulevées par le pourvoi de l’appelant Bhasin sont les suivantes :

1)      La common law canadienne impose-t-elle aux parties à un contrat une obligation d’honnêteté dans l’exécution du contrat?

2)      Dans l’affirmative, l’un ou l’autre des intimés a-t-il manqué à cette obligation?

La Cour a répondu par l’affirmative à ces deux questions pour les motifs qui suivent.

Une nouvelle obligation générale de bonne foi

La Cour débute son analyse du droit en rappelant que la notion de bonne foi est une notion très profondément ancrée dans notre système de droit, mais que la common law canadienne s’était refusée jusqu’alors à reconnaître un principe plus large et indépendant s’appliquant au domaine contractuel.

La Cour, sous la plume de l’honorable Cromwell, en vient à la conclusion, non sans une complète et exhaustive analyse des précédents jurisprudentiels et doctrinaux issus de la common law et des règles de droit provenant de divers systèmes juridique, incluant le Québec et les États-Unis, qu’une nouvelle « obligation générale d’honnêteté applicable à l’exécution des contrats » devait s’inscrire dans le cadre du principe directeur de bonne foi qui implique que les parties doivent exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, sans arbitraire.

L’avancement de la common law

La Cour a statué que « le temps était venu de prendre deux mesures progressives en vue de rendre la common law moins incertaine et fragmentaire et plus cohérente et équitable ». Ces mesures se résument par le fait de, premièrement, « reconnaître que l’exécution de bonne foi des contrats constitue un principe directeur général de la common law en matière de contrats qui sous-tend et détermine les diverses règles où la common law, dans diverses situations et divers types de relations ». Dans un second temps, il s’agit de reconnaître l’existence de l’obligation d’exécuter les contrats de bonne foi et finalement, de reconnaître, comme manifestation supplémentaire du principe directeur de bonne foi, l’existence d’une obligation en common law, applicable à tous les contrats, d’agir honnêtement dans l’exécution des obligations contractuelles. 

L’avancement recherché tend à corriger certaines lacunes existantes en common law, notamment le fait que cette dernière est actuellement incertaine en matière contractuelle, que l’approche visant la bonne foi n’est pas cohérente dans son ensemble, que le droit actuel semble faire fi des attentes contractuelles des parties à une entente commerciale, notamment lorsque des joueurs étrangers y sont impliqués, et que finalement, les changements et ajustements proposés ne pourront certes régler tous les problèmes, mais apporteront sans nul doute une forme d’uniformité et de stabilité qui rendra le droit plus conforme aux attentes raisonnables des parties à une telle entente.

Ainsi, la Cour a réaffirmé son rôle et sa mission visant l’évolution du droit et de la common law dans le respect des normes législatives et des précédents établis.

Le principe directeur de bonne foi

Reconnaissant et réaffirmant le principe directeur de la bonne foi, la Cour rappelle que l’approche recherchée est celle du principe directeur prépondérant tout en acceptant que des règles de droit existantes puissent servir de guide pour préciser le droit par la suite.

Le principe directeur établi en termes généraux constitue une exigence de justice à laquelle il est possible d’inférer des règles de droit qui elles, pourront être plus particulières. Ce mécanisme est d’ores et déjà reconnu par la Cour suprême. Ce faisant, le principe directeur de bonne foi n’est pas une règle de droit autonome, mais bien une norme générale qui sous-tend différentes règles de droit plus spécifiques selon divers degrés d’importance.

Puisque plaidé par les intimés, la Cour rappelle que le fait de conjuguer le principe directeur de bonne foi à l’approche visant l’établissement du droit par les règles existantes ne compromettra en rien la stabilité contractuelle dans les contrats commerciaux. Bien au contraire, il serait plutôt surprenant de penser et d’inférer que les parties à une entente commerciale donneraient leurs accords à une convention prévoyant à l’avance que celles-ci ne sont pas tenues d’agir avec honnêteté!

L’application du principe directeur de bonne foi dans le cadre de relation contractuelle soumise à des règles de droit existantes ne saurait se faire que de manière graduelle, en tenant compte de la structure du droit des contrats en common law et en tenant compte des choix personnels des parties dans le cadre de la négociation commerciale.

La clause d’intégralité de l’entente
Quant à l’impact d’une clause d’intégralité de l’entente, comme en l’instance, la Cour rappelle que la nouvelle obligation générale d’honnêteté ne constitue pas une condition implicite du contrat, mais bien une doctrine générale du droit des contrats agissant à titre de norme minimale d’exécution. Par conséquent, malgré la présence d’une telle clause dans l’entente des parties, cela ne constituerait pas un obstacle à l’application de l’obligation générale d’honnêteté, cette dernière n’étant pas une condition implicite et ne pouvant donc être exclue par les parties.

Les principes dégagés du droit civil du Québec

L’existence de l’obligation générale de bonne foi est ancrée très profondément dans le système de droit civil québécois, cela est incontestable et de nombreuses décisions en font état.

Élaborant son analyse, la Cour rappelle que le système de droit québécois, de même que celui des États-Unis, reconnaît l’obligation générale de bonne foi sans que pour autant la stabilité contractuelle et la liberté contractuelle ne soient ébranlées.

D’ailleurs, la Cour relève deux aspects importants de l’obligation de bonne foi existante en droit civil québécois. Le premier étant de nature subjective et visant l’état d’esprit de l’acteur dans son ensemble en tentant de déceler les intentions malicieuses ou intentionnelles. Le second étant de nature objective et visant la qualification de la conduite de l’acteur en regard de la personne raisonnable. La notion de bonne foi implique nécessairement une exigence d’honnêteté minimale.

Le sort du pourvoi

En l’instance, la Cour suprême a maintenu, en partie, les conclusions de première instance et confirmé que Can-Am avait violé son obligation générale d’honnêteté, violation résultant du comportement répréhensible de cette dernière envers Monsieur Bhasin dans le cadre de l’application de la clause de non-renouvellement et des raisons sous-jacentes à cette application, entraînant pour l’appelant des dommages. La Cour a toutefois retiré toutes les conclusions visant Monsieur Hrynew, un autre intimé, en raison de l’absence de preuve de la violation ou du complot civil pouvant l’impliquer dans la violation de l’obligation d’honnêteté de Can-Am.

Rappel des principes établis et réaffirmés

L’honorable Cromwell conclut comme suit son jugement :

« [92] Je conclus qu’à ce stade de l’évolution de la common law au Canada, l’ajout d’une obligation générale d’honnêteté en matière d’exécution contractuelle constitue une mesure progressive appropriée, tout en reconnaissant que le principe directeur de la bonne foi, de portée plus large, doit pouvoir continuer d’évoluer en fonction de la même approche judiciaire progressive.

[93] Il convient ici de résumer ces principes :

1) Il existe un principe directeur général de bonne foi sous-jacent à de nombreux aspects du droit des contrats.

2) De façon générale, il est possible de dégager les incidences particulières de l’application du principe général à des cas précis en s’appuyant sur l’ensemble de la doctrine qui a été élaborée et qui donne effet aux aspects de ce principe dans des types particuliers de situations et de relations.

3) Il convient de reconnaître une nouvelle obligation en common law qui s’applique à tous les contrats en tant que manifestation du principe directeur général de bonne foi : une obligation d’exécution honnête qui oblige les parties à faire preuve d’honnêteté l’une envers l’autre dans le cadre de l’exécution de leurs obligations contractuelles. »

Référence : [2014] ABD 458

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