lundi 8 septembre 2014

Seule la Cour fédérale a compétence exclusive pour réviser les décisions prises par un office fédéral ou la légalité du processus suivi par celui-ci

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

On dit de la Cour fédérale qu'elle est une Cour statutaire parce qu'elle n'a que la compétence que la loi lui donne expressément; je ne suis pas fou de cette qualification et je ne suis pas nécessairement d'accord non plus, mais ce sont des sujets pour un autre jour. Une chose est certaine, la loi accorde certaines compétences exclusives à la Cour fédérale, dont celle de contrôler la légalité des gestes posés par un office fédéral qu'une décision ait été rendue ou qu'une telle décision n'ait pas encore, en raison d'un processus vicié ou incorrect, rendue. C'est ce que rappelle l'Honorable juge Claudine Roy dans Centre québécois du droit de l'environnement c. Oléoduc Énergie Est ltée (2014 QCCS 4147).


Dans cette affaire, les Requérants recherchent l'émission d'une ordonnance de suspension ou d’annulation des certificats autorisant les travaux géotechniques, certificats émis par le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs et par le ministre du Développement durable. Ils demandent également une ordonnance interdisant à TransCanada d’entreprendre les travaux, et ce, jusqu’à l’audition de la demande d’injonction interlocutoire. 
 
En effet, les Requérants soumettent que ces travaux mettent en péril la survie et le rétablissement du béluga dans la région et qu’il est impératif d’intervenir. Ils plaident que l’émission des certificats d’autorisation est déraisonnable et contrevient à l’équité procédurale, principalement au motif que le ministre du Développement durable ne disposait pas de la meilleure information scientifique possible pour prendre sa décision puisqu’il n’aurait pas obtenu d’avis scientifique de la Direction des sciences de Pêches et Océans Canada.
 
Quant à ce dernier organisme, ils soumettent qu'il n’a pas suivi le processus requis par la Loi sur les espèces en péril lorsqu’il a conclu que les travaux ne requéraient pas son autorisation pourvu que certaines mesures d’atténuation soient respectées puisque ces mesures permettent d’éviter de nuire ou de harceler les bélugas.
 
Une des questions que doit trancher la juge Roy est celle de savoir si elle a compétence pour analyser la décision prise par Pêches et Océans Canada ou le processus suivi par celle-ci. L'organisme fait valoir que seule la Cour fédérale a compétence en la matière, alors que les Requérants concèdent que la Cour fédérale a compétence exclusive pour réviser la décision, mais pas pour voir si le processus suivi est correct. En effet, puisque aucune décision n'a été rendue ici, les Requérants plaident que la Cour supérieure a compétence.
 
Après analyse, la juge Roy en vient à la conclusion que la position des Requérants sur cette question est mal fondée. En effet, elle est d'avis que seule la Cour fédérale peut se prononcer sur les gestes posés par l'office fédérale qu'une décision ait été prise ou non:
[32]        La Cour fédérale a compétence exclusive pour connaître de toute demande relative à une décision d’un office fédéral tel que Pêches et Océans Canada : 
18. (1)  Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :  
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition, ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;  
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.  
[…]  
(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) et (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire. 
[33]        Les Requérants prétendent que Pêches et Océans Canada n’a rendu aucune décision, il a simplement envoyé une lettre et que, par conséquent, la Cour fédérale ne serait pas compétente pour entendre une demande de révision judiciaire. 
[34]        Un argument de même nature a été soulevé et rejeté récemment par la Cour d’appel dans Morin c. 9247-9104 Québec inc. : 
[10]      Une contestation, soit de la décision du Ministre, soit de son absence de prise de position sur le sujet, relève du contrôle judiciaire de ses gestes. Or, le paragraphe 18 (1) de la Loi sur les cours fédérales édicte qu’une demande soit en révision judiciaire soit en jugement déclaratoire intentée à l’encontre du Ministre est du ressort exclusif de la Cour fédérale. […]  
[…]  
[12]      Bref, qu’il s’agisse de contester la décision du Ministre ou de se plaindre qu’il ne l’a pas rendue alors qu’il le devait, statuer sur le sujet relève de la compétence exclusive de la Cour fédérale. 
[35]        Pour cette raison, la Cour supérieure ne peut statuer sur la légalité du processus suivi par Pêches et Océans Canada. Seule la Cour fédérale peut statuer sur cette question.
Référence : [2014] ABD 357

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