mardi 9 septembre 2014

L'outrage au tribunal est un ultime recours

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons déjà souligné que l'outrage au tribunal est (et doit demeurer) une mesure de dernier ressort. Ainsi, c'est seulement lorsque les autres recours possibles auront été épuisés que l'on pourra avoir recours à la citation pour comparaître pour outrage au tribunal. C'est ce qu'illustre la décision récente rendue par l'Honorable juge Carole Therrien dans Di Feo c. Amusements Le Furet aveugle inc. (2014 QCCS 3970).


Dans cette affaire, les Demandeurs procèdent ex parte pour tenter d'obtenir une citation pour comparaître contre les Défendeurs et leurs procureurs afin de répondre à des accusations d'outrage au tribunal.
 
Ils allèguent que les Défendeurs et leurs procureurs ont enfreints la règle de l'engagement implicite de confidentialité en faisant référence dans leur défense à des informations obtenues lors de l'interrogatoire préalable d'un des Demandeurs. Ils allèguent que cela doit être sanctionné par voie d'outrage au tribunal.
 
La juge Therrien note d'emblée que les Demandeurs peuvent demander la radiation des allégations prétendument problématiques s'ils ont raison quant à la violation de l'engagement implicite. D'ailleurs, les Demandeurs ont déjà déposé une requête à cet effet.
 
Puisqu'un autre remède approprié existe, la juge Therrien est d'avis que l'outrage au tribunal n'est pas la voie appropriée:
[8]      En matière d'outrage, le Tribunal doit exercer sa discrétion et n'autoriser le recours que de manière exceptionnelle, notamment en considérant les autres moyens disponibles pour assurer le respect des ordonnances et des obligations mises en cause. 
[9]      Le premier remède offert aux demandeurs demeure la radiation des allégations, procédure qui sera présentée dans quelques jours. Le Tribunal y voit un premier motif de ne pas mettre en branle un processus exceptionnel quasi-pénal, dans les circonstances. 
[10]   Par ailleurs, le Tribunal n'est pas convaincu prima facie que les reproches formulés par les demandeurs pourraient mener à la condamnation recherchée. Certes, la Cour suprême évoque la possibilité de recourir à la procédure d'outrage dans des situations de violation de l'obligation implicite de confidentialité. Mais en l'espèce, cette violation, s'il en est, se limite pour le moment aux procédures du dossier. La preuve ne révèle pas de diffusion publique réelle, ni même à l'extérieur de personnes déjà au courant des informations en question. 
Commentaire:
 
J'ouvre ici une longue parenthèse pour vous dire que si, en lisant ceci, vous vous dites que c'est un procédé (utiliser de l'information recueillie lors d'un interrogatoire préalable a l'appui de la défense) que l'on voit utilisé tous les jours dans des procédures judiciaires au Québec et que vous n'y voyez certes pas matière à prendre des procédures en outrage au tribunal contre les parties adverses et leurs avocats, vous n'êtes pas seul...

J'ajoute également qu'il est certes possible que je ne comprenne pas bien la règle de l'engagement implicite de confidentialité, mais les propos de la Cour suprême dans Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc. ([2001] 2 RCS 743) me paraissaient assez clairs sur la question:
42                              Au départ, toutefois, il importe de s’entendre sur la nature d’une règle de confidentialité des informations obtenues au cours d’un interrogatoire préalable.  Même si des dossiers ou des informations sont confidentiels ou relèvent de la vie privée, la partie qui engage un débat judiciaire renonce, à tout le moins en partie, à la protection de sa vie privée.  Cela peut être vrai même relativement à des sujets aussi délicats que le contenu de ses dossiers médicaux et hospitaliers.  (Voir Frenette c. Métropolitaine (La), Cie d’assurance-vie, 1992 CanLII 85 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 647; art. 399.1 et 400 C.p.c.)  L’enclenchement d’un mécanisme de vérification des allégations et des informations présentées unilatéralement par une partie résulte nécessairement de l’ouverture du débat judiciaire.  Cependant, la règle de confidentialité cherche à limiter l’atteinte à la vie privée à l’étape de l’examen préalable en la restreignant à la mesure nécessaire pour la conduite du débat.  Elle reconnaît que l’information, lorsqu’elle est  pertinente ou qu’elle n’est pas protégée par quelqu’autre privilège de confidentialité, doit être communiquée à la partie adverse.  Elle interdit cependant à celle-ci d’en faire usage pour d’autres fins que la préparation du procès et la défense de ses intérêts dans le cadre de celui-ci, ou de la divulguer à des tiers, sans autorisation particulière du tribunal. 
[mes soulignements]  
Référence : [2014] ABD 359

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