Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Que doit faire un juge lorsqu'il en est venu à la conclusion qu'une faute a été commise et que celle-ci a causé un préjudice qu'il est très difficile d'évaluer? La Cour d'appel revient sur cette question dans Banque de Montréal c. TMI-Éducaction.com inc. (Syndic de) (2014 QCCA 1431) et rappelle que le juge doit alors utiliser les éléments disponibles pour en arriver à un chiffre, même si celui-ci est approximatif. En effet, il serait injuste qu'une partie qui a commis une faute et causé un préjudice soit déchargée de toute responsabilité au seul motif que le dommage ne peut être quantifié avec précision.
Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement qui l'a condamné à payer des dommages-intérêts au montant de 12 500 000$ à l’Intimé, syndic à l’actif de la faillie TMI-Éducaction.com inc. (Éducaction), pour cause d’abus de droit. En effet, la juge de première instance (l'Honorable juge Suzanne Hardy-Lemieux) en était venue à la conclusion que l'Appelante avait agi de manière abusive envers la faillie et causé la perte de l'entreprise.
En appel, la Cour, dans un juge unanime rédigé sous la plume de l'Honorable juge Paul Vézina, confirme la décision de première instance et ses conclusions factuelles. Bien que la décision traite de plusieurs questions, celle qui nous intéresse aujourd'hui est celle de la quantification des dommages.
En effet, l'Intimé faisait valoir en première instance que la mesure des dommages incluait le potentiel de la compagnie faillie si il lui avait été permis de se lancer en bourse comme elle l'aurait fait sans l'intervention de l'Appelante. Le problème tient au fait que la preuve ne contenait pas d'expertise utile qui permettait à la juge de première instance d'établir cette valeur. Celle-ci s'est donc livrée à une évaluation approximative de la valeur possible de l'entreprise.
Selon le juge Vézina, c'est à bon droit que la juge a procédé à cet exercice puisque que le rôle du juge de première instance est de quantifier le préjudice même lorsqu'il n'est pas possible de le faire avec précision:
En appel, la Cour, dans un juge unanime rédigé sous la plume de l'Honorable juge Paul Vézina, confirme la décision de première instance et ses conclusions factuelles. Bien que la décision traite de plusieurs questions, celle qui nous intéresse aujourd'hui est celle de la quantification des dommages.
En effet, l'Intimé faisait valoir en première instance que la mesure des dommages incluait le potentiel de la compagnie faillie si il lui avait été permis de se lancer en bourse comme elle l'aurait fait sans l'intervention de l'Appelante. Le problème tient au fait que la preuve ne contenait pas d'expertise utile qui permettait à la juge de première instance d'établir cette valeur. Celle-ci s'est donc livrée à une évaluation approximative de la valeur possible de l'entreprise.
Selon le juge Vézina, c'est à bon droit que la juge a procédé à cet exercice puisque que le rôle du juge de première instance est de quantifier le préjudice même lorsqu'il n'est pas possible de le faire avec précision:
[102] À la décharge des experts, l’objet de l’évaluation est d’une nature particulière. Ce n’est pas vraiment une entreprise en plus ou moins bonne santé, avec un historique d’exploitation et un avenir assez prévisible, mais plutôt un actif intangible, un projet prometteur en voie de réalisation, qui assurait une nouvelle exploitation plus moderne par une entreprise rajeunie qui prenait son envol au moment où on lui a coupé les ailes.
[103] Même si les expertises ne lui sont guère utiles et peu importe la difficulté de l’exercice, le tribunal doit fixer l’indemnité, si besoin est en faisant appel à une certaine approximation. Dans l’affaire Vidéotron ltée c. Bell ExpressVu, l.p., le tribunal l’exprime avec justesse :
[734] The quantification of compensatory damages in the context of the present proceedings presents considerable challenges. The various methods of calculating the loss of potential subscribers, the income generated therefrom and the resultant loss of profits are, at best contentious. Clearly, the significant differences in the evaluation of damages arrived at by the financial experts retained by each of the parties to assist the Court in the quantification of damages reflect the extent of the challenge.
[735] However, the presence of these challenges does not negate the right of recovery of an aggrieved party when, as in the present case, fault, causation and the existence of damages has been adequately proven on the balance of probabilities. The Court’s role in such circumstances is to arbitrate the quantum of damages based upon whatever credible evidence may be available to it.
[Mon soulignement]
[104] Dans Société du Parc des îles c. Renaud, notre cour décide dans le même sens :
[26] Ce faisant, le juge arbitrait les dommages et intérêts comme il se devait de le faire dans les circonstances. Ayant conclu à l’existence de divers manquements à leurs obligations de la part des appelantes, manquements qui selon toute probabilité avaient été dommageables pour l’achalandage de l’entreprise exploitée par l’intimée, il lui fallait rechercher dans la preuve la démonstration probable du montant du préjudice financier subi par l’intimée. […]
[105] Et encore dans Provigo Distribution Inc. c. Supermarché A.R.G. Inc. :
La présence de nombreux facteurs difficilement prévisibles ou appréciables rendait l’évaluation du préjudice fort compliquée. La difficulté supplémentaire éprouvée par cette Cour d’évaluer le dommage en ne tenant compte que de la preuve constituée au dossier l’excusera sans doute de ne pas pouvoir y appliquer une rigueur strictement mathématique. Elle doit donc procéder à ce calcul en faisant appel à une certaine approximation, à un certain degré d’appréciation et à sa discrétion. C’est cependant là le rôle des juges.
[106] Faute d’expertises utiles, la Juge se fonde sur « la preuve profane faite au cours de l’audience ». Pour ce faire, elle prend en considération certains éléments d’actifs perdus par Éducaction à cause de l’inscription en Bourse ratée, dont l’investissement de « 1 M$ de SIPAR payable le jour de l'inscription à la Bourse suivi de 500 000 $ dans les 90 jours de cette date » et celui de Hampton Securities de 945 000 $.
[...]
[109] Je suis tout de même d’avis que cette orientation de la Juge d’évaluer l’indemnité à partir de la valeur des actifs perdus est valable. Je m’explique.
[110] L’essentiel à considérer est le succès anticipé du passage de la formation en salle au cyberapprentissage. Selon la preuve, le projet est en bonne voie de réalisation au 6 juillet. Le développement de la plateforme informatique est avancé et les capitaux requis pour terminer le travail sont disponibles dès l’inscription en Bourse.
Référence : [2014] ABD 308[111] L’article 1611 du Code civil du Québec établit que l’indemnité correspond à « la perte subie » par la victime, plus « le gain dont elle est privée ». Ici, la perte correspond à la valeur du projet de cyberapprentissage, réalisé en partie au 6 juillet, et le gain, au surplus de valeur correspondant à sa réalisation complète prévue à court terme.
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