vendredi 4 juillet 2014

L'urgence invoquée pour passer outre l'obligation de dénoncer l'existence du vice doit être celle de procéder à la totalité des travaux correctifs

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Comme nous en avons déjà fait état, l'existence d'une situation urgente peut libérer une partie de son obligation de dénoncer l'existence de vices cachés au vendeur avant de procéder à des travaux correctifs. Cette urgence doit cependant être celle de procéder à des travaux correctifs et non seulement l'urgence de faire quelque chose pour empêcher l'aggravation du préjudice comme le souligne l'affaire Martel c. Labeaume (2014 QCCS 3083).
 

Dans cette affaire, le Demandeur réclame aux Défendeurs la réduction du prix de vente de la résidence que ces derniers lui ont vendue. Il allègue que les Défendeurs ont fautivement fait défaut de lui indiqué que la fondation de la résidence comporte en partie une fondation sur pilotis, alors que l'apparence extérieure de l'immeuble le portait à croire qu'il était en présence d'une fondation continue en béton coulé.

Un des moyens que les Défendeurs opposent au Demandeur est l'absence de dénonciation du vice avant que le Demandeur ne procède aux travaux correctifs. L'Honorable juge Daniel Beaulieu est d'avis que ce moyen est bien fondé en l'instance:
[82]        La Cour d'appel, dans l'affaire Immeuble de l'Estuaire, phase III Inc. c. Syndicat des copropriétaires de l'Estuaire condo phase III, exprime bien aux paragraphes 158 à 161 de sa décision, l'état du droit en l'espèce : 
« [158] Selon cette disposition, le défaut de préavis est généralement considéré comme fatal au recours de l'acheteur, même dans le cas où le vendeur connaissant ou était présumé connaître le vice. Pierre-Gabriel Jobin, dans son ouvrage sur la vente, écrit que :  
Bien que le vendeur qui connaissait le vice ou ne pouvait pas l'ignorer ne puisse se plaindre d'avoir reçu un avis tardif, il a quand même droit de recevoir un avis écrit de l'existence du vice avant que l'acheteur n'intente des procédures contre lui; seule est supprimée, à l'égard d'un tel vendeur, l'obligation de l'aviser dans un délai raisonnable. Le but de ce préavis, on l'a vu, est de permettre au vendeur de réparer le vice et, le cas échéant, de vérifier si le vice est grave et s'il est attribuable à une mauvaise utilisation par l'acheteur; cet objectif est tout aussi pertinent pour le vendeur professionnel que pour celui qui ne l'est pas.  
[159] L'auteur indique dans ce passage que l'acheteur doit donner ce préavis avant d'intenter les procédures mais, vu le but du préavis, tel qu'expliqué plus haut (voir supra, paragr. [152]), il faut comprendre que l'acheteur doit donner ce préavis avant même de procéder aux réparations : on ne peut pas, autrement, parler de dénonciation.  
[160] La comparaison des articles 1738 et 1739 C.c.Q. mène donc à la conclusion que le vendeur a le droit de recevoir une dénonciation écrite du problème, même s'il connaît où est présumé connaître ce dernier.  
[161] Par exception à la règle du préavis, la jurisprudence a reconnu qu'en certaines circonstances, le défaut de préavis, en matière de vice caché, pouvait n'être pas fatal au recours de l'acheteur (et ce, que le vendeur ait connu le vice ou pas) : ainsi, en cas d'urgence, le bien étant menacé d'un dépérissement immédiat, le défaut de dénonciation préalable ne pourra être opposé à l'acheteur, et de même si le vendeur a répudié sa responsabilité à l'égard du vice ou renoncé à se prévaloir du défaut d'avis. » (Nos soulignements) 
[83]        Dans la présente affaire, le Tribunal considère que l'envoi de la dénonciation, deux ans après la découverte du vice allégué, ne constitue pas un délai raisonnable au sens de l'article 1739 du Code civil du Québec
[84]        Au surplus, l'expédition de cet avis, après la réalisation des travaux correctifs, crée en soi, à moins de circonstances exceptionnelles, une fin de non-recevoir au recours institué.
Afin de pallier à l'absence de mise en demeure, le Demandeur fait valoir que la situation était urgente. Le juge Beaulieu rejette la possibilité d'appliquer cette exception à la lumière des faits en l'espèce. En effet, s'il était possiblement urgent d'intervenir pour pallier au problème, il n'était pas urgent de procéder aux travaux correctifs:
[90]        Or, la preuve révèle que ce risque a, de façon permanente, été contourné par la mise en place d'un mur de fondation en béton coulé, sous la forme de quatre sections. Ces travaux se sont déroulés sur une période de quatre jours. 
[91]        Lorsque l'expert du demandeur se présente sur les lieux, sept jours plus tard, soit le 5 octobre 2009, le mur de fondation en béton coulé de ce secteur est réalisé, mais non encore remblayé. 
[92]        Dans l'intervalle et avant la réalisation de ce mur de fondation, l'entrepreneur confirme avoir mis en place des « pattes » afin de s'assurer de la stabilité de l'immeuble. En contre-interrogatoire, il confirme également qu'il lui était possible d'obtenir les mêmes résultats en procédant au remblayage d'une partie de cette excavation à l'aide du matériel en place. Cette technique est d'ailleurs confirmée par l'expert Landry lors de son témoignage. 
[93]        De l'avis du Tribunal, l'ensemble de ces faits ne rencontre en aucune manière le caractère d'urgence invoqué par le demandeur afin de le dispenser de dénoncer cette situation aux défendeurs. 
[94]        Au contraire, la preuve démontre que le demandeur, alors que les moyens de stabilisation temporaire sont mis en place, prend le temps de communiquer avec son procureur, lequel, mandate l'expert Larouche, qui effectivement se présente sur les lieux le 5 octobre. 
[95]        Il aurait donc été facile d'aviser les défendeurs afin de leur permettre de constater la situation et d'intervenir, s'ils le désiraient.
Référence : [2014] ABD 265

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