vendredi 25 juillet 2014

Les grandes similitudes entre le secret professionnel québécois et celui qui s'applique dans les autres provinces canadiennes

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le 13 septembre 2010, nous avions attiré votre attention sur la décision rendue dans Chambre des notaires du Québec c. Canada (Procureur général) (2010 QCCS 4215) dans laquelle l'Honorable juge Marc-André Blanchard concluait à l'invalidité de certaines dispositions de la Loi sur l'impôt sur le revenu du Canada parce qu'elles contreviennent au secret professionnel des avocats et notaires. Or, plus tôt cette année, dans Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec (2014 QCCA 552), la Cour d'appel est venue confirmer la décision de première instance faisant par le fait même des commentaires intéressants sur le secret professionnel au Québec.
 

Dans cette affaire, les tribunaux sont saisis de la question de savoir si certaines dispositions de la Loi, qui permettaient aux fonctionnaires de l'Agence des douanes et du revenu du Canada de formuler des demandes péremptoires adressées à des notaires ou avocats et de requérir des informations à propos de leurs clients, sont constitutionnellement valides.

En première instance, l'Honorable juge Marc-André Blanchard en est venu à la conclusion que la réponse à cette question est négative en raison de l'entrave au secret professionnel créée par ces dispositions.

C'est l'Honorable juge Marie-France Bich qui prononce jugement au nom d'un banc unanime de la Cour d'appel. Elle confirme la conclusion ultime du juge de première instance. De plus, elle formule des commentaires très intéressants sur la nature du secret professionnel, notamment quant aux grandes similitudes entre le secret professionnel québécois et celui qui s'applique dans les autres provinces canadiennes:
[64]        Considérant ce contexte législatif et réglementaire, comment la jurisprudence traite-t-elle le secret professionnel du conseiller juridique québécois? Dans Société d'énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets (SIGED) inc., le juge LeBel, au nom de la Cour suprême, rappelle que le secret professionnel de l'avocat, en droit québécois, comporte deux facettes : 1° celle de la confidentialité des informations échangées dans le cadre de la relation entre le conseiller juridique et son client et du droit corrélatif du client au silence, puis 2° celle de l'immunité de divulgation de ces informations confidentielles à l'encontre d'une communication forcée à des tiers, « même dans les instances judiciaires ». Il souligne ensuite que le cadre législatif québécois intègre toutes ces dimensions au secret professionnel de l'avocat (et, pourrait-on ajouter, du notaire, auquel les propos de la Cour sont intégralement transposables). Parlant du contenu de l'obligation de confidentialité de l'avocat, il écrit enfin que (et ses propos sont mutatis mutandis applicables aux notaires) : 
34               Bien qu’elle se soit en grande partie constituée à l’occasion d’affaires relevant du droit pénal, la jurisprudence a consacré clairement l’importance fondamentale du secret professionnel de l’avocat, à la fois règle de preuve, droit civil important et principe de justice fondamentale en droit canadien, tant pour la protection des intérêts essentiels de ses clients que pour le fonctionnement du système juridique du Canada, comme le soulignait la juge Arbour dans l’arrêt Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, par. 49 (voir aussi Maranda, précité, par. 11). L’obligation de confidentialité imposée à l’avocat s’explique ainsi par la nécessité de préserver une relation fondamentale de confiance entre l’avocat et son client. La protection de l’intégrité de ce rapport est elle-même reconnue comme indispensable à la vie et au bon fonctionnement du système juridique canadien. Elle assure la représentation effective des clients et la communication franche et complète de l’information juridique nécessaire à ceux-ci (R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 263, p. 289, le juge en chef Lamer; Royer, op. cit., p. 891-892).  
35               Le secret professionnel des avocats est protégé comme celui des membres de tous les ordres professionnels régis par le Code des professions, selon l’art. 9 de la Charte québécoise. Cependant, l’intensité et la portée de la protection que reconnaît cette disposition demeure susceptible de varier suivant la nature des fonctions remplies par les membres des divers ordres professionnels et des services qu’ils sont appelés à rendre, comme des autres composantes du régime juridique qui les encadrent (voir Frenette c. Métropolitaine (La), cie d’assurance-vie, 1992 CanLII 85 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 647, p. 673‑675, la juge L’Heureux-Dubé). Dans cette perspective, les principes généraux de droit public qu’a définis la jurisprudence de notre Cour quant à l’importance de ce secret professionnel et à sa sensibilité particulière dans le cas de la relation avocat‑client ne doivent pas être oubliés lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre cette disposition et celles de la Loi sur le Barreau qui portent sur le même sujet. D’ailleurs, certains aspects de la législation fiscale québécoise soulignent l’importance particulièrement critique de cette institution pour la société et le système de justice en accordant une protection renforcée au secret professionnel liant les avocats et notaires. Ainsi, la Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., ch. M‑31, art. 53.1, autorise le fisc à examiner les documents détenus par un professionnel, même si cela provoque la divulgation de renseignements confidentiels, sauf dans le cas des avocats et notaires (voir Royer, op. cit., p. 977). 
[65]        Et le juge LeBel d'ajouter plus loin : 
38        Le présent appel n’exige pas l’examen des conflits potentiels entre l’obligation de confidentialité et l’exercice de droits concurrents. À part le problème accessoire de la renonciation, les questions en jeu se limitent à l’identification du contenu de l’obligation de confidentialité et surtout à la détermination des méthodes pour le définir et donner effet par la suite à l’immunité de divulgation judiciaire. Même dans ces limites, le problème demeure délicat et complexe en pratique. En effet, il serait inexact de tenter de réduire le contenu de l’obligation de confidentialité à celui de l’opinion, de l’avis ou du conseil donné par l’avocat à son client. S’il s’agit souvent de l’objectif principal de la création de la relation professionnelle, il arrive aussi que celle-ci implique des actes très diversifiés de représentation devant des tribunaux ou des organismes variés, des négociations ou des rédactions de contrats, de rapports ou de formulaires divers ou des discussions avec les membres des organismes dirigeants de corps publics ou de sociétés commerciales. Au cours de l’exécution de ces mandats, l’avocat reçoit et transmet des informations diverses. Certaines de ces activités ne soulèvent aucune difficulté en raison de leur caractère public, comme le dépôt d’actes de procédure ou les actes de représentation devant un tribunal. Cependant, lorsque la relation professionnelle découle d’un mandat complexe, à exécution prolongée, comme dans le présent dossier, la délimitation de l’aire d’application de l’obligation de confidentialité exige du tribunal une analyse parfois poussée des rapports entre les parties, comme de la nature et du contexte des services professionnels rendus. 
[66]        On peut inférer de ces passages qu'aux fins de la détermination de l'existence du secret professionnel, la distinction faits-communications sur laquelle repose une partie de la jurisprudence antérieure à l’arrêt Foster Wheeler n'est pas pertinente en tant que telle, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté de distinguer les uns des autres et de la fragilité de toute distinction de ce genre. Certains faits peuvent en effet être porteurs de communications ou sous-tendre celles-ci, dont ils sont alors indissociables. C'est d'ailleurs ce que l'on comprend des propos du juge LeBel, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, dans l'arrêt Maranda c. Richer, notamment aux paragr. 30 à 32, qui valent aussi bien pour le droit civil québécois que la common law. C'est ce que l'on peut conclure également des commentaires suivants du juge Binnie, au nom de la Cour suprême, dans Blood Tribe : 
[9]               Le secret professionnel de l’avocat est essentiel au bon fonctionnement du système de justice. Étant donné la complexité des règles de droit et de procédure, il est impossible, de manière réaliste, de s’y retrouver sans les conseils d’un avocat. On dit que celui qui se défend lui‑même a un imbécile pour client, mais la valeur des conseils d’un avocat est fonction de la qualité des renseignements factuels que lui fournit son client. Nous savons par expérience que les personnes aux prises avec un problème juridique se refuseront souvent à dévoiler la totalité des faits à un avocat s’ils n’ont pas une garantie de confidentialité « aussi absolu[e] que possible » : 
... le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.
(R. c. McClure, 2001 CSC 14 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, par. 35, cité et approuvé dans Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, par. 36.) 
[Je souligne.]
[67]        Ces propositions sont tout aussi vraies en droit québécois. 
[68]        Les ressemblances, d’ailleurs, sont grandes entre le secret professionnel des conseillers juridiques en droit québécois et le secret professionnel des mêmes conseillers juridiques dans le droit des autres provinces, ce dernier ne devant pas être restreint au « litigation privilege » dont il se distingue et dont il n'est pas question dans la présente affaire. Comme le souligne le juge Major, pour la Cour, dans Pritchard : 
14               Solicitor-client privilege describes the privilege that exists between a client and his or her lawyer. Clients must feel free and protected to be frank and candid with their lawyers with respect to their affairs so that the legal system, as we have recognized it, may properly function: see Smith v. Jones, 1999 CanLII 674 (SCC), [1999] 1 S.C.R. 455, at para. 46.   
15               Dickson J. outlined the required criteria to establish solicitor-client privilege in Solosky v. The Queen, 1979 CanLII 9 (SCC), [1980] 1 S.C.R. 821, at p. 837, as: “(i) a communication between solicitor and client; (ii) which entails the seeking or giving of legal advice; and (iii) which is intended to be confidential by the parties”. Though at one time restricted to communications exchanged in the course of litigation, the privilege has been extended to cover any consultation for legal advice, whether litigious or not: see Solosky, at p. 834.  
16               Generally, solicitor-client privilege will apply as long as the communication falls within the usual and ordinary scope of the professional relationship. The privilege, once established, is considerably broad and all-encompassing. In Descôteaux v. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (SCC), [1982] 1 S.C.R. 860, the scope of the privilege was described, at p. 893, as attaching “to all communications made within the framework of the solicitor-client relationship, which arises as soon as the potential client takes the first steps, and consequently even before the formal retainer is established”. The scope of the privilege does not extend to communications: (1) where legal advice is not sought or offered; (2) where it is not intended to be confidential; or (3) that have the purpose of furthering unlawful conduct: see Solosky, supra, at p. 835.  
[69]        C'est aussi le sens de l'arrêt Blood Tribe, où le juge Binnie traite du secret professionnel en renvoyant indifféremment à des affaires émanant de la province de Québec ou d'autres provinces. De même, le portrait que le juge Rothstein peint du secret professionnel dans l'arrêt Goodis (sous l'angle du privilège des communications entre avocat et client et non du « litigation privilege »), alors qu’il écrit notamment que la divulgation « de documents visés par une revendication du secret professionnel de l’avocat ne peut être ordonnée que si elle est absolument nécessaire » se rapproche fortement de celui qu'on tracerait en droit québécois.  
[70]        Bref, s’il demeure une différence fonctionnelle entre les manières dont on aborde le secret professionnel dans les autres provinces et au Québec, on ne peut pour autant nier les ressemblances.
Référence : [2014] ABD 296

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