mercredi 30 avril 2014

La fin de non-recevoir peut être utilisée par la partie demanderesse

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La fin de non-recevoir est généralement utilisée comme moyen de défense. En effet, elle permettra à une partie défenderesse de contester une réclamation - par ailleurs bien fondée - lorsque c'est précisément le comportement hautement répréhensible de la partie demanderesse qui est à l'origine du litige. Or, comme le souligne la Cour d'appel dans Samen Investments Inc. c. Monit Management Ltd. (2014 QCCA 826), rien ne s'oppose à ce que la fin de non-recevoir soit utilisée par la partie demanderesse pour contrer un argument en défense.
 

Dans cette affaire, les parties au litige se pourvoient mutuellement contre un jugement qui a accueilli en partie une action en dommages. Le genèse du litige est contractuelle et se base sur trois contrats de gestion.
 
En première instance, Samen faisait valoir que même si Monit pouvait légalement prétendre à des frais de gestion pour certains projets de construction, son comportement frauduleux ou abusif constituait une fin de non-recevoir à cette partie de la réclamation.
 
Or, Samen agissait à titre de demanderesse en première instance, d'où la question de savoir si une partie demanderesse peut soulever une fin de non-recevoir à l'encontre d'un argument en défense.
 
Au nom d'un banc unanime, l'Honorable juge Jacques R. Fournier en vient à la conclusion que la réponse à cette question est affirmative. En effet, bien que son analyse des faits de l'affaire l'amène à conclure que l'argument de fin de non-recevoir était mal fondé, il indique clairement que rien ne s'oppose à ce qu'une partie demanderesse oppose à une partie défenderesse une fin de non-recevoir:
[67]        La fin de non-recevoir est généralement un moyen de défense à l'encontre d'une demande autrement bien fondée. Ici, le moyen est invoqué en demande. Les circonstances sont particulières parce que le créancier de l'obligation, qu'on voudrait faire annuler, s'est lui-même payé à la faveur de son rôle de mandataire. De confiner la fin de recevoir à un moyen de défense équivaut à refuser la protection à celui qui, même involontairement parce que tenu dans l'ignorance, l'a acquitté.  
[68]        Je suis d'avis que ce n’est pas le rôle procédural, que jouent l'une ou l'autre des parties, qui donne ouverture à la mise en œuvre de cette création jurisprudentielle. 
[69]        Par contre, il faut que les conditions d'application développées par la jurisprudence soient remplies.  
[70]        Lorsqu'il y a eu lieu de réclamer le trop-perçu à titre de frais de gestion pour les postes couverts par le paragraphe 2 du contrat, soit la gestion des immeubles, le juge a fait droit à la réclamation de Samen. Même si l'ensemble de la réclamation a été traité comme une action en dommages, je vois facilement qu'elle aurait pu être analysée sous l'angle de la répétition de l'indu, puisque Samen a effectué des paiements sur la base d'une obligation inexistante. 
[71]        Par contre, pour la gestion des projets de construction, le juge en est venu à la conclusion que le contrat autorisait Monit à facturer de tels montants. L'obligation tient donc sa source du contrat et est étrangère au comportement répréhensible de Monit. 
[72]        Au surplus, c'est avec hésitation que je parle d'un comportement répréhensible de Monit, alors que le dossier se décide sur l'interprétation donnée à un contrat, ce qui suppose, au préalable, que la position de Monit sur l’interprétation à donner au contrat est soutenable. 
[73]        Les auteurs Lluelles et Moore définissent ainsi la fin de non-recevoir : 
2030. Institution essentiellement jurisprudentielle, la fin de non-recevoir n'a, depuis, cessé de connaître un succès plus que certain en jurisprudence, et l'on peut affirmer que « l'existence des fins de non-recevoir en droit civil québécois ne fait aujourd'hui plus de doute ».  
2031. La fin de non-recevoir permet donc au magistrat de rejeter une demande, par ailleurs bien fondée en droit, dans la mesure où c'est précisément le comportement hautement répréhensible du demandeur qui est à l'origine du litige. Ainsi, dans le grand arrêt Soucisse, la Cour suprême a débouté une banque de sa réclamation à l'encontre des héritiers d'une caution, réclamation, parfaitement justifiée selon le droit alors en vigueur. Mais cette réclamation n'aurait jamais eu lieu si le créancier s'était acquitté de son obligation de renseignement et n'avait pas créé une fausse sécurité chez les ayants droit de la caution. Or, il avait violé ce devoir en fournissant aux héritiers des informations tronquées, lesquelles les avaient empêchés d'apprendre l'existence d'autres lettres de crédit, postérieures au décès, couvertes par le cautionnement, et donc de se prévaloir de leur droit de révoquer ces dernières. Pour le juge Beetz, rendant une décision unanime, l'action de la banque contre les ayants cause de la caution décédée était « irrecevable […] car nul ne doit tirer avantage de sa propre faute ni surtout demander le secours des tribunaux pour y arriver ».  
[Références omises] 
[74]        On ne rencontre donc pas, en l'instance, les conditions qui donnent ouverture à ce moyen de repousser l'exécution d'une obligation qui tient son origine du contrat et non de la conduite des parties.
Référence : [2014] ABD 171

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