lundi 17 mars 2014

Pour faire revivre une dette éteinte par la faillite et la libération subséquente d'une personne, la reconnaissance de dette par cette personne doit être claire et non équivoque

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

On connaît bien le principe: la personne qui est libérée de sa faillite a purgé ses dettes (à moins que le jugement de libération en prévoit autrement ou que la loi prévoit la survie de certaines dettes). Dans Day c. Banque Laurentienne du Canada (2014 QCCA 449), la Cour d'appel devait se pencher sur la question de savoir si une personne libérée de sa faillite pouvait faire revivre une dette en reconnaissant celle-ci. La Cour répond à cette question de manière positive, tout en indiquant que la reconnaissance devait être claire et non équivoque.


La trame factuelle est relativement simple.

L'Appelante et le Mis en cause, son conjoint, avaient conclu, en 2008, une convention de prêt avec l'Intimée. Ce prêt était garanti par une hypothèque sur leur résidence. En juillet 2009, l'Appelante et le Mis en cause faisaient cession de leurs biens. Ils furent libérés de leur faillite en avril 2010.
Or, l'Appelante et le Mis en cause continuent d'habiter la maison et de faire des paiements à l'Intimée même après leur libération de la faillite. En septembre 2010, ils abandonnent la maison et remettent les clés à l'Intimée.
L'Intimée a alors fait vendre la maison en justice. Malheureusement, le produit de la vente n'est pas suffisant pour couvrir la dette complète, de sorte que l'Intimée intente des procédures en recouvrement du solde de prêt contre l'Appelante et le Mis en cause. L'Intimée faisait valoir que, malgré la faillite, le fait pour L'Appelante et le Mis en cause d'avoir continué à effectuer des paiements a fait revivre la dette. Le juge de première instance a accueilli cet argument et condamné l'Appelante et le Mis en cause.
La Cour d'appel, dans un jugement unanime rendu par les Honorables juges Morissette, Dutil et Lévesque vient renverser cette décision. Bien que la Cour accepte la possibilité pour un failli libéré de faire revivre une dette éteinte, elle indique que la reconnaissance doit être claire et non équivoque. Or, la preuve en l'instance n'établit pas si l'Appelante et le Mis en cause effectuaient des paiements parce qu'ils reconnaissaient toujours l'existence du prêt ou s'ils effectuaient simplement des paiements pour la jouissance continue des lieux:
[13]        Il est vrai que dans l’affaire Serruya, le juge Crête de la Cour supérieure a fait droit à une réclamation fondée sur une créance antérieure à la faillite (laquelle, ici encore, avait été dissimulée au créancier). Le débiteur failli avait fait cession de ses biens en mai 2001 et il avait été libéré en septembre 2002. En 2003, par l’entremise de ses avocats, il répondit à une mise en demeure de ses créanciers en les informant qu’il n’aurait d’autre choix que de faire nouveau cession de ses biens s’ils insistaient, et en ajoutant : 
Having said this, it is Mr. Serruya's intention to honour his debt obligations to your clients. In this regard, however, he has indicated that he will require some time to reorganize his affairs. To this end, he has indicated that he has launched a number of business enterprises and anticipates being in the position of honouring his obligations to your clients at some point in the future.  
He will contact your clients once his financial situation has stabilized. 
Plusieurs mois plus tard, aucun paiement n’ayant été fait, les destinataires de cette lettre intentèrent action. Rien de comparable à cette reconnaissance n’existe ici. 
[14]        L’arrêt Moen demeure probablement l’assise la plus ferme sur laquelle asseoir la conclusion du juge de première instance. Dans des motifs énoncés oralement, le juge Lambert s’exprimait ainsi : 
[17]      The contractual payments were made throughout the period of the bankruptcy and the defendant retained possession of the vehicle throughout that period. After she had obtained her discharge from the bankruptcy she continued to retain possession of the vehicle and she continued to make the contractual payments. Under what basis was that possession retained and on what basis were those payments made? In my opinion, the proper view is that the contract continued throughout the bankruptcy and continued after the discharge from bankruptcy; it was never terminated in accordance with its provisions for termination, and the fact that there might have been a claim provable in bankruptcy, or that a claim provable in bankruptcy might have been made, does not affect the fact that the contract itself continued and continued to regulate the relationship of the parties after the discharge from bankruptcy. 
Ici encore, certaines nuances pourraient s’avérer nécessaires : il s’agissait d’un contrat de bail ou de location à long terme d’un véhicule. Après une faillite dont la créancière n’avait pas eu connaissance, puis une libération, la locataire, qui jusque-là n’avait jamais interrompu ses paiements, fit défaut d’honorer le contrat. La locatrice la poursuivit pour une solde contractuel et la Cour d’appel de Colombie-Britannique statua dans le sens précité. 
[15]        Quoi qu’il en soit, cette solution s’est attirée la critique de plusieurs auteurs. Houlden, Morawetz et Sarra écrivent à ce sujet: 
With respect, it is submitted that, although the security is not affected by a discharge, the debt is extinguished by s.178(2): Pelyea v. Canada Packers Employees Credit Union Ltd., 13 C.B.R. (N.S.) 284, 1969 CanLII 378 (ON CA), [1970] 2 O.R. 384, 11 D.L.R. (3d) 35 C.A.; Burton v. Toronto Dominion Bank, 22 C.B.R. (N.S.) 207, [1976] I.L.R. I-779 (Ont. S.C). Accordingly, unless there is new consideration advanced by the secured creditor subsequent to the date of the bankruptcy, the creditor should not be entitled to judgment against the bankrupt for the debt. 
[16]        En 2002, un groupe de travail interdisciplinaire mis sur pied par le surintendant des faillites, constitué de 23 spécialistes et présidé par Me Yoine Goldstein, faisait rapport sur diverses questions, dont celle des libérations conséquentes à une faillite personnelle. Au sujet de l’arrêt de l’arrêt Moen, il faisait les commentaires suivants : 
Le principe fondamental du système d’administration de l’insolvabilité du Canada, défini au paragraphe 178(2) de la LFI, est que les faillis ont droit à un nouveau départ une fois libérés de la faillite. À cette fin, le paragraphe 178(2) libère les faillis de toutes leurs dettes, à l’exception de celles indiquées au paragraphe 178(1).  
[] 
Si l’on veut que la loi soit conforme au principe du nouveau départ, les faillis devraient être libérés de ces promesses – également intitulées « des engagements personnels » ou « engagements de payer » – lorsqu’ils sont libérés de la faillite. Dans la jurisprudence Moen, les tribunaux canadiens ont plutôt statué que les faillis libérés doivent s’en tenir à leur engagement de payer établi avant la faillite, une fois qu’ils ont continué à effectuer des paiements après leur libération. Lorsque les faillis ont cessé par la suite d’effectuer les paiements, les tribunaux ont donné raison à la partie adverse. Le groupe de travail considère plutôt que les faillis n’avaient pas l’intention, règle générale, de réaffirmer leur promesse d’avant la faillite; ce qui est probable, c’est qu’ils ont continué d’effectuer les paiements de façon à conserver la possession des biens loués ou hypothéqués sans comprendre qu’ils réaffirmaient ainsi leur engagement de payer. 
Il n’est pas impossible que la difficulté dont il est question ici soit plus marquée en common law qu’en droit civil. 
[17]        En effet, il apparaît bien en droit civil que le simple paiement d’une obligation naturelle ne crée pas un nouveau lien de droit entre débiteur et créancier. Faribault, dans son Traité de droit civil, écrivait il y a déjà longtemps : 
Le seul effet de l’obligation naturelle qui soit reconnu par la loi, c’est la validité du paiement fait volontairement par le debiteur.  
(…)  
Le paiement partiel d’une obligation naturelle ne crée aucun lien de droit entre le débiteur et le créancier et, conséquemment, ce paiement ne confère pas à celui‑ci le droit de réclamer en justice ce qui reste dû sur l’obligation
Rien au dossier ici ne donne le moindre indice d’une reconnaissance en bonne et due forme de la dette envers l’intimée. Il n’y a pas eu de pourparlers entre les parties (du moins n’y a-t-il aucune preuve en ce sens au dossier), pas d’engagement ferme de rembourser, pas de billet. Une hypothèse nettement plus plausible que celle de la reconnaissance est que les paiements à l’intimée avaient lieu d’être, dans l’esprit de l’appelante et du mis en cause, pendant qu’ils continuaient d’avoir la jouissance des lieux. Il revenait à l’intimée de fournir une démonstration prépondérante de l’intention des parties adverses de reconnaître comme valide et exécutoire l’obligation dont ils avaient été libérés par la faillite. Une telle reconnaissance, si elle avait véritablement été de l’intention des emprunteurs, aurait pu se concrétiser dans un écrit ou même par une déclaration suffisamment « claire et non équivoque », selon l’expression du Pr Deslauriers. Cela n’a pas été fait ici et l’appelante, libérée de sa dette, a simplement continué pour un temps à faire des paiements qui coïncidaient avec une obligation naturelle et que, une fois faits, elle n’aurait pu répéter de l’intimée même si elle l’avait voulu. Mais là s’arrête l’analyse. Par conséquent, il faut faire droit à l’appel de l’appelante.
Référence : [2014] ABD 107

Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Gutkowski c. Serruya, 2006 QCCS 5772.
2. Seabord Acceptance Corporation c. Moen, 1986 CanLII 1133 (BCCA).

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